Vergentis in senium, 25 mars 1199
Hageneder Othmar, Maleczek Werner, Strnad A. A., Rudolf K., Die Register Innocenz’III. 2. Pontifikatsjahr, 1199/1200, Vienne, 1979, no 1, p. 3-5. Traduction : J. T.
Le texte qui suit est la bulle d’Innocent III, fulminée contre les hérétiques cathares qui est souvent citée dans les livres d’historiens.
Ainsi vous pouvez la lire et en apprécier les passages cités ici ou là.
Au clergé, aux consuls et au peuple de Viterbe.
De la corruption du siècle, qui décline en sa vieillesse, non seulement donnent des signes les éléments corrompus, mais témoigne aussi la plus digne des créatures, faite à l’image et ressemblance du Créateur, placée par privilège de dignité devant les oiseaux du ciel et les bêtes de toute la terre[1] ; et non seulement elle défaille déjà comme s’Il défaillait, mais elle infecte et se trouve infectée par la rouille dévorante de la vétusté. L’homme misérable en effet pèche à l’extrême ; lui qui, au temps de sa création et de celle du monde, n’a pu se maintenir au paradis, dégénère vers son anéantissement et celui de la terre ; oublieux du prix de sa rédemption pour la fin des siècles, en s’engageant dans les liens vains et changeants des disputes[2], il se prend lui-même au lacet de ses erreurs et tombe dans le piège qu’il a préparé[3].
Car voici que l’homme ennemi a semé la semence impie par-dessus les semailles du Seigneur ; les champs à moissonner pullulent de zizanie, ou plutôt en sont pollués ; le blé se dessèche et se change en paille[4] ; la vermine dans la fleur et le renard dans la récolte travaillent à détruire la vigne du Seigneur[5]. Car une nouvelle descendance d’Akân vole dans le butin enlevé à Jéricho le lingot d’or et le manteau[6] ; la lignée maudite d’Abiron, de Datan et de Coré veut avec de nouvelles cassolettes faire monter l’odeur d’un encens vicié sur de nouveaux autels[7], tandis que la nuit indique à la nuit la voie de la connaissance[8], tandis que l’aveugle fait office de guide à l’aveugle[9], tandis que les hérésies pullulent et que l’hérétique fait héritier de son hérésie et de sa damnation celui qu’il a fait exclure de l’héritage divin. Ceux-là sont les aubergistes qui coupent le vin avec de l’eau[10] et offrent à boire le venin du serpent[11] dans le calice d’or de Babylone[12] ; ils ont, selon l’Apôtre, l’apparence de la piété tout en reniant sa force[13]. Et bien que contre ces petits renards — qui à la vérité ont des aspects divers mais sont reliés par leurs queues[14], car par leur vanité ils reviennent tous au même[15] —, diverses mesures aient été prises au temps de nos prédécesseurs, la peste mortifère n’a pas encore pu, jusqu’à présent, être mise à mort et empêchée de s’insinuer plus largement[16] en secret comme un cancer et de répandre même à découvert le poison de son iniquité, trompant de nombreux simples et séduisant certains sages[17], dissimulée sous l’apparence de la religion — étant fait maître d’erreur celui qui n’a pas été disciple de la vérité.
Pour que nous — qui, bien que vers la onzième heure, sommes dépêché par le Père de famille évangélique[18] parmi les ouvriers, et même, plutôt, au commandement des ouvriers de la vigne du Seigneur Sabaoth, et à qui les brebis du Christ sont commises[19] de par notre office pastoral —, ne paraissions pas échouer à attraper les renards qui détruisent la vigne du Seigneur et à interdire aux loups d’approcher les brebis et pour qu’ainsi nous ne puissions pas à bon droit être appelé chien muet incapable d’aboyer[20] et ne périssions pas avec les mauvais cultivateurs[21] et ne soyons pas comparé au mercenaire[22], nous avons décidé de statuer plus sévèrement contre les défenseurs, les hôtes, les partisans et les croyants des hérétiques, afin que ceux qui ne peuvent être eux-mêmes ramenés à la voie de rectitude soient du moins confondus en leurs défenseurs, hôtes, partisans et croyants et, lorsqu’ils se verront évités par tous, désirent être réconciliés à l’unité de tous. Du commun conseil de nos frères et avec l’assentiment des archevêques et évêques qui se trouvent auprès du Siège apostolique, nous interdisons donc strictement que quiconque ose recevoir ou défendre des hérétiques de quelque manière que ce soit ou ose leur venir en aide ou croire en eux en quelque façon que ce soit, et nous établissons fermement par le présent décret que celui qui aura l’audace de faire l’une de ces choses, s’il n’a soin d’y renoncer après avoir été averti une première ou une seconde fois, sera ipso jure fait infâme et ne sera pas admis aux offices publics ni aux conseils des villes ni à élire quiconque à ces derniers ni à témoigner; qu’il soit aussi incapable de tester et n’accède pas aux successions ; en outre, que personne ne soit contraint de comparaître pour lui faire droit dans quelque affaire que ce soit. Et s’il est juge, que sa sentence n’ait aucun effet et qu’aucune cause ne soit déférée à son audience ; s’il est avocat, qu’il ne soit pas admis à défendre en justice ; s’il est tabellion, que les instruments confectionnés par ses soins n’aient aucune valeur et soient cassés en justice comme est condamné leur auteur ; et pour les situations du même type, nous ordonnons d’observer les mêmes mesures. S’il est clerc, qu’il soit déposé de tout office et bénéfice, pour que soit plus lourd le châtiment de celui dont la faute est plus grande. Et si quiconque se refuse à éviter de tels individus après qu’ils auront été désignés par l’Église, qu’il sache qu’il encourt la sentence d’anathème.
Sur les terres soumises à notre juridiction temporelle, nous établissons que les biens de ces coupables seront confisqués ; et, ailleurs, nous ordonnons que la même mesure soit appliquée par les magistrats et princes séculiers — et nous voulons et mandons que ces derniers soient contraints de la mettre à exécution par censure ecclésiastique, après monition, s’ils venaient à se montrer négligents. Et que les biens de ces coupables ne leurs soient pas restitués par la suite — à moins qu’il se trouve quelqu’un pour vouloir les prendre en pitié une fois qu’ils seront revenus à leurs cœurs[23] et auront renoncé à leurs relations avec les hérétiques —, afin qu’une peine temporelle, du moins, frappe celui que la discipline spirituelle ne corrige pas. En effet, puisque, selon les sanctions légitimes, une fois les coupables de lèse-majesté punis du châtiment capital, leurs biens sont confisqués et la vie de leurs enfants n’est épargnée que par miséricorde, ô combien plus ceux qui offensent Dieu Jésus Christ, fils de Dieu, en errant dans la foi, doivent-ils être séparés de notre tête, qui est le Christ, par la rigueur ecclésiastique, et dépouillés de leurs biens temporels, puisqu’il est bien plus grave de léser la majesté éternelle que la majesté temporelle ! Et même l’exhérédation des enfants orthodoxes ne doit pas, au prétexte d’une quelconque commisération, conduire à diminuer la sévérité de cette censure, puisque, selon le jugement divin aussi, dans de nombreux cas, les enfants sont punis au temporel pour leurs pères et, en vertu des sanctions canoniques, il arrive que le châtiment frappe non seulement les auteurs des crimes, mais aussi la descendance des condamnés.[24]
Nous décrétons donc, etc., de notre interdiction et constitution, etc.
Donné au Latran, le 8 des calendes d’avril, la deuxième année de notre pontificat.
Sceau en plomb de Innocent III (1200) servant à authentifier les décrétales pontificales, d’où le nom de bulles qui leur est resté accolé.
[1] Cf. Gn 1 (Creatio celi et terre), 26 : …et ait : Faciamus hominem ad imaginem et similitudinem nostram et presit piscibus maris et volatilibus celi et bestiis universeque terre omnique reptili quod movetur in terra.
[2] Cf. Tit 3 (Officia in extraneos), 9 : Stultas autem questiones et genealogias et contentiones et pugnas legis devita ; sunt enim inutiles et vane.
[3] Cf. Ps 7 (Hominis calumniis oppressi ad Deum judicem appellatio), 16 : Lacum aperuit et effodit eum ; et incidit in foveam quam fecit ; Ecc 10, 8 (De pravo regimine) : Qui fodit foveam incidet in eam et qui dissipat sepem mordebit eum coluber.
[4] Cf. Mt 13, 24-30 (Parabola zizaniorum).
[5] Cf. Cant 2, 15 : Capite nobis vulpes parvulas que demoliuntur vineas ; nam vinea nostra floruit.
[6] Cf. Jos 7, 16-26 (Achan invenitur reus et morti damnatur).
[7] Cf. Num 16, 1-40 (Rebellio Core, Dathan et Abiron).
[8] Ps 18 (Laus Dei creatoris et legislatoris), 3 : Dies diei eructat verbum, et nox nocti indicat
scientiam.
[9] Cf. Mt 15, 14 (Quid coinquinat hominem) : Sinite illos : ceci sunt et duces cecorum ; cecus autem
[10] Cf. Is 1, 18 (Hortatio ad conversionem) : Argentum tuum versum est in scoriam ; vinum tuum mistum est aqua.
[11] Cf. Deut 32, 33 (Sed ne hostes insolescant Israel vindicabit) : Fel draconum vinum eorum et venenum aspidum insanabile.
[12] Cf. Jer 51, 7 (Contra Babylonem) : Calix aureus Babylon in manu Domini, inebrians omnem terram ; de vino ejus biberunt gentes et ideo commote sunt.
[13] Cf. 2 Tim 3 (Falsi doctores fugiendi), 5 : …habentes speciem quidem pietatis, virtutem autem ejus abnegantes.
[14] Cf. Jud 15 (Bellum aggreditur contra Philistheos), 4 : Perrexitque et cepit trecentas vulpes caudasque earum junxit ad caudas et faces ligavit in medio.
[15] Cf. Ps 61 (In solo Deo sperandum), 10 : Verumtamen vani filii hominum, mendaces filii hominum in stateris, ut decipiant ipsi de vanitate in idipsum.
[16] Cf. 2 Tim 2, 17 (Cum novatoribus quomodo agendum) : et sermo eorum ut cancer serpit.
[17] Cf. 2 Cor 11 (Non minor aliis apostolis), 3 : Timeo autem ne sicut serpens Evam seduxit astutia sua, ita corrumpantur sensus vestri et excidant a simplicitate, que est Christo.
[18] Cf. Mt 20, 1-16 (Parabola de operariis in vineam conductis) : Simile est regnum celorum homini patrifamilias, qui exiit primo mane conducere operarios in vineam suam, etc.
[19] Cf. Jo 21, 15-17 (Triplex Petri confessio) : …Dixit ei : « Pasce oves meas ».
[20] Is 56, 10 (Speculatores peccato arguuntur) : Speculatores ejus ceci omnes ; nescierunt universi : canes muti non valentes latrare, videntes vana, dormientes, et amantes somnia.
[21] Cf. Mt 21, 33-41 (Parabola de perfidis vinitoribus) : …Cum ergo venerit dominus vinee, quid faciet agricolis illis ? Aiunt illi : « Malos male perdet ; et vineam suam locabit aliis agricolis, qui reddant ei fructum temporibus suis » ; Mc 12, 1-12 (Parabola de perfidis vinitoribus).
[22] Cf. Jo 10 (Iesu pastor bonus), 11-13 : Ego sum pastor bonus. Bonus pastor animam suam dat pro ovibus suis. Mercenarius autem, et qui non est pastor, cujus non sunt oves proprie, videt lupum venientem et dimittit oves et fugit ; et lupus rapit et dispergit oves ; mercenarius autem fugit, quia mercenarius est et non pertinet ad eum de ovibus.
[23] Is 46 (Ruina idolorum), 8 : Mementote istud et confundamini ; redite, prevaricatores, ad cor.
[24] Cf. Gratien, C. 15, q. 8, c. 3, Ex ministris Ecclesie geniti in servitutem ejusdem devocentur (Ex Concilio Tolletano IX) : Cum multae super innocentiam ordinis clericorum hactenus ema- nauerint sententiae Patrum, et nullatenus ipsorum formari quiuerit correctio morum, usque adeo sententiam iudicantium protraxere conmissa culparum, ut non tantum ferretur ultio in actores scelerum, uerum etiam in progeniem dampnatorum.