Registre d’Inquisition de Pamiers – 1318 à 1325


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Dépositions devant Jacques Fournier de 1318 à 1325

Le registre d’Inquisition de Pamiers

Le registre est rendu sous forme d’un livre sans colonne. Or, initialement les feuillets sont composés de deux colonnes chacun. La numérotation indique donc le folio : recto (r°) ou verso (v°) ainsi que le colonage de a à d (a et b pour le recto et c et d pour le verso).
Pour indiquer le passage d’une colonne à l’autre, Jean Duvernoy a choisi l’indication : //

Introduction (extrait)

La collection des documents de l’Inquisition médiévale qui nous est parvenue, malgré tant de pertes et de mutilations, forme pour la France méridionale un corpus incomparable à la fois par sa date, par sa continuité et par sa densité.
Les registres actuellement connus pour les Pays-Bas, l’Italie ou le Dauphiné, qui intéressent une époque plus basse, sont loin d’offrir la même richesse.
Plusieurs auteurs également estimables par leur érudition et leur bonne foi ont consacré leur carrière, ou du moins leurs travaux les plus féconds, à l’étude de ces documents. Charles Schmidt, Charles Molinier, Célestin Douais, Elphège Vacandard, Jean Guiraud et Jean-Marie Vidal ont laissé une bibliothèque qui pouvait donner, il y a une trentaine d’années, l’impression que, l’Inquisition méridionale et l’Albigéisme ayant livré tous leurs secrets, une édition systématique, venant après tant de citations ou d’insertions d’extraits à titre de preuve, n’apporterait plus d’éléments nouveaux.
Mais les travaux contemporains dans le domaine de la littérature polémique du XIIIesiècle, auxquels le P. Auguste Dondaine a apporté la contribution principale, nous ont rendus plus exigeants, Tandis que les publications de Sainte-Sabine apportaient la preuve de l’homogénéité de ces sources nouvelles et des résultats déjà acquis, et par conséquent de l’exactitude doctrinale des documents inquisitoriaux, l’ouvrage consacré aux Cathares par Arno Borst dans les MonumentaGermaniæhistorica faisait enfin déborder l’histoire de l’Albigéisme d’un cadre qui n’avait pas varié depuis l’étude magistrale, et généralement passée sous silence, de Bossuet.
Les exigences de l’histoire générale par ailleurs, et son souci de rechercher, par delà les événements, un contexte humain, social, ou économique, donnent à la publication des sources originales une priorité qui reste la principale justification de la présente édition du Registre d’Inquisition de Jacques Fournier.
La tâche était ingrate en effet de prétendre tirer, après les travaux de Vidal, des renseignements neufs ou des conclusions personnelles d’un texte auquel il avait consacré plusieurs lustres, qu’il avait partiellement édité dans plusieurs monographies, qu’il avait parfaitement situé dans son cadre historique par ses travaux sur Benoit XII et sur l’Inquisition au XIVesiècle.
Aussi nous sommes-nous bornés à renvoyer le lecteur, dans de
nombreux cas, à ses travaux, tout en apportant les références ou les compléments qui nous paraissaient justifiés, notre but essentiel étant d’offrir au public un texte, des index et un glossaire.
L’intérêt historique du registre tient à une réunion exceptionnelle de circonstances. Il émane d’un évêque agissant en son nom propre, quoiqu’avec le concours d’un juge monastique délégué ; cet évêque
devint par la suite le pape Benoît XII ; les lieux, les personnages, les
doctrines sont recoupés par trois autres documents de haute valeur :
le manuscrit 4269 du fonds latin de la Bibliothèque Nationale, les
Sentences de l’Inquisition de Toulouse, la Practica Inquisitionis de
Bernard Gui. Enfin, loin d’être une liste d’attendus répondant étroitement à un formulaire-type, la plupart des « processus » présentent
une forme narrative savoureuse et des renseignements inappréciables sur le mode de vie, les mœurs, la langue et la mentalité des
populations du haut Comté de Foix.
Au point de vue de l’Inquisition, cette convergence de sources qui nous permet de suivre l’inculpé de la citation à comparaître jusqu’à la sentence (et parfois jusqu’au bûcher ou au « mur ») est absolument unique.

Le manuscrit

Le manuscrit Vatican Latin n° 4030 de la Bibliothèque Vaticane est un in-folio de parchemin (375 x 260 mm) de 325 folios. La reliure, Renaissance, en veau maroquiné, a des plats décorés à froid et le dos à 5 nerfs. Les fermoirs ont disparu. Le premier folio porte une table des procès avec en regard, détaché, le chiffre du folio dans lequel ils se terminent. La numérotation correspondante de l’ouvrage, de la même main, commence par le chiffre I ausixième folio. Cette table est dans une cursive qui présente avec l’écriture des six notaires d’Inquisition duMs Lat. 4269 une grande parenté.
Les quatre folios non numérotés, intercalés entre la table et la première déposition sont, ainsi que la première partie du registre (folios 1a à 128 d), de la même gothique, épaisse et courte, irrégulièrement alignée dans les premiers folios. La fin de chaque procès porte une mention de révision : « Et ego Rainaudus Iabbaudi, clericus de Tholosa, cum originali fideliter correxi », d’une main différente, qui a transcrit les folios, mal reliés, actuellement numérotes 113 et 114 en chiffres arabes, insérés entre le f° CXII et le f° CXIII.
Une troisième main apparaît du folio 129aau folio 134d d’une
gothique plus anguleuse et peut-être plus archaïque que la précédente.
Enfin le reste du registre dont les dépositions se terminent par la souscription : « Vice cuius ego Iohannes Iabbaudi clericus de Tholosa ea de originali transcripsi fideliter et corexi » ou une phrase analogue, est d’une quatrième main, à l’écriture gothique particulièrement régulière, révélant une habitude professionnelle de l’écriture « textuelle ».

Jacques Fournier, inquisiteur

Né à Saverdun (Ariège), profès à l’abbaye de Boulbonne de l’ordre de Cîteaux, maître en théologie de l’Université de Paris, abbé de Fontfroide, Jacques Fournier fut élevé sur le siège de Pamiers le 19 mars 1317.
II avait, avec l’abbé de Saint-Papoul, été chargé par Clément V en 1306 de procéder au jugement des prisonniers de l’Inquisition d’Albi. Il ne paraît pas avoir jamais joué ce rôle, et il est possible qu’il se soit trouvé à ce moment à Paris.
Vers la mi-juillet 1318, il fut averti par le curé de Merviel (Ariège) que la femme d’un pieux notable de cette localité avait perdu la foi en la présence réelle. L’évêque instruisit son cas avec un luxe tout particulier, consulta une foule d’hommes « religieux et distingués », et prononça une sentence modérée, comme le cas, qui touchait plus à la névrose qu’à l’hérésie, le postulait.
Mais ces débuts modestes devaient s’éclipser l’année suivante devant la délicate commission dont il était chargé par Jean XXII le 16 juillet 1319. Il s’agissait, de concert avec l’évêque de Saint-Papoul et l’archevêque de Toulouse (et au besoin sans ce dernier) de juger, même pour les peines les plus graves et sans appel, le célèbre franciscain Bernard Délicieux.
Les deux évêques s’acquittèrent de leur tâche avec clairvoyance, en repoussant l’accusation d’empoisonnement du pape Benoit XI, et compassion, en dispensant le condamné des fers et en lui laissant son froc.
Jacques Fournier avait, à la môme époque, arrêté trois personnes : un prêtre nommé Pierre Adémar, un carme, Pierre Record, et une femme, Gaillarde En Cuq, suspects de sorcellerie. Le Pape, probablement consulté par lui, lui prescrivit de les juger (28 juillet 1319). Dans le courant du même été, Jacques Fournier avait fait arrêter à Pamiers quatre Vaudois et les avait fait conduire à la Curie. Par lettres du 26 août 1319 Jean XXII délivrait à Bernard Barrau, chapelain et messager de l’évêque, un sauf-conduit pour ramener les prisonniers à Pamiers en vue de leur jugement.
C’est par le procès du plus notable d’entre eux, un « diacre » du nom de Raymond de Sainte-Foy, de la Côte Saint-André, que s’ouvrit vraiment la carrière d’inquisiteur de Jacques Fournier, qui s’adjoignit, en application de la constitution « Multorum querela » un délégué de l’Inquisiteur de Carcassonne,   Gaillard de Pomiès, qui devait  peu  après devenir prieur du  couvent  des Prêcheurs  de Pamiers.
Ces deux séries de faits devaient être lourdes de conséquences. Les deux premiers vaudois, le diacre et sa nourrice, ne firent aucune difficulté à avouer, se firent aussi respectueux que possible de l’Église et de l’opinion d’autrui, mais, sans pour autant montrer du fanatisme, acceptèrent le bûcher  avec une parfaite résolution. Jacques  Fournier, dit-on, en  pleura, et si leur mort fut édifiante, ce ne fut pas dans le sens que l’on attendait.
… Inquisiteur incorruptible et compétent, Jacques Fournier est  en effet avant tout consciencieux. Il  n’a pas de « socius », et s’il  lui arrive, très exceptionnellement, de laisser son assesseur interroger seul, il est toujours présent lors de la première comparution.
Plus franc que Bernard Gui,il laisse figurer dans la procédure ses hypothèses exploratrices, même quand elles sont mensongères, ce qui d’ailleurs est rare.
Il est, à notre sens, certain qu’il n’a jamais interrogé sous la torture ou en présence de celle-ci. Il a usé, par contre, sans hésiter, du cachot strict, pour délier les langues, mais paraît avoir mesuré les inconvénients de la preuve obtenue par ce moyen.
Le registre qu’il nous a laissé l’emporte dans tous les domaines sur ceux que nous possédons par ailleurs. Il est le plus long, le plus documenté, le plus authentique dans son contenu, le moins arbitraire et pour tout dire le moins inquisitorial des documents de ce genre. On doit sans doute à la rare personnalité de Jacques Fournier la plupart de ces caractères. Mais il faut bien reconnaître qu’ils sont aussi le fait, à un moindre degré, de Bernard Gui et de Geoffroy d’Ablis. On leur doit, pour ne citer que des exemples bien connus, le fait-divers toulousain de Guillemme de Proaude et la confession de Pierre de Luzenac. Bien loin d’avoir vu la décadence du célèbre tribunal, comme l’écrivait Vidal dans la préface de son Bullaire, le XIVsiècle à ses débuts en connaît sans conteste le sommet.

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