Traité cathare anonyme – 7


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Retrouvé dans le Liber contra Manicheos de Durand de Huesca, vaudois converti au catholicisme, ce traité — dont il ne reste que des extraits — est d’autant plus intéressant que ce moine catholique déploie de grands efforts pour tenter de le réfuter. Entièrement construit à partir de références scripturaires, ce traité comporte très peu de commentaires de l’auteur, ce qui le rend d’autant plus utile pour valider sa démonstration. L’auteur de ce traité serait Barthélémy de Carcassonne qui aurait pu être un représentant en Languedoc d’un haut dignitaire cathare de Bosnie. Ce document semble être un outil préparé en vue de controverse ou d’enseignement et utilisant les sources scripturaires afin de conforter la doctrine cathare dyarchienne.

Le présent document est une traduction de René Nelli publié dans le recueil « Écritures cathares » publié par les éditions du Rocher dans une édition actualisée et augmentée par Anne Brenon en 1995. Pour respecter le droit des auteurs je ne vous livrerai ni la préface, ni les notices que vous trouverez dans le livre. J’espère qu’en ne publiant que la traduction je ne causerai aucun tort à personne et je permettrai à tous d’accéder à cet ouvrage essentiel à la compréhension de la doctrine cathare.

TRAITÉ CATHARE ANONYME

Chapitre XIV

Au sujet de la bonne création, l’Apôtre déclare aux Hébreux : « Celui qui est le créateur de toutes choses est Dieu » (Hébr., 3,4). Et Salomon : « Celui qui vit éternellement a créé également toutes choses » (Eccli., 18, 1). L’Apôtre dit aux Colossiens : « Car toutes choses ont été créées par Lui, tant celles du ciel que celles de la terre, les visibles et les invisibles ; soit les trônes, soit les dominations, soit les principautés, soit les puissances, tout a été créé par Lui et pour Lui. Il est avant toutes choses, et elles subsistent toutes en Lui, etc. » (Col., 1, 16-17). Que cela ait été dit des choses spirituelles, il n’y a pas à hésiter là-dessus, puisque l’Apôtre précise : « Soit les trônes, etc. » Et que ce soient les mêmes choses qui sont qualifiées de visibles et d’invisibles, cela ressort avec évidence des paroles de l’Apôtre lui-même, puisqu’il dit : « Car les perfections invisibles de Dieu sont devenues visibles depuis la création du monde, par la connaissance que ses créatures nous en donnent ; et aussi sa puissance éternelle et sa divinité » (Rom., 1, 20) »
Et dans l’Évangile : « Toutes choses ont été faites par lui et sans lui rien n’a été fait » (le nihil a été fait) (Jean, 1, 3-4). Ce qui prouve que Jean a voulu parler des choses spirituelles et bonnes ; c’est qu’il ajoute tout de suite après : « Ce qui a été fait en Lui était la Vie » (Jean, 1, 4).

Mon analyse :
L’auteur arrive à montrer que les citations les plus apparemment mondaines peuvent être lues dans le sens spirituel. La citation de la lettre aux Colossiens pouvait laisser entendre qu’il s’agissait du maître de ce monde, malgré des références à son éternité. En fait, l’auteur nous montre qu’il s’agit bien de Dieu, malgré des références anthropomorphiques évidentes. L’élément majeur est le fait que les choses invisibles sont rendues visibles à nos yeux par l’information donnée depuis la création du monde. Cela fait référence à la connaissance acquise par Adam et Ève lorsqu’ils ont touché au fruit défendu.

Ce sont encore les bonnes créatures que Paul veut désigner par ces paroles : « Car tout ce que Dieu a créé est bon » (I Tim., 4,4). Si toute créature de Dieu est bonne ; si le monde, comme certains le prétendent, est la création de Dieu, ainsi que tout ce qu’il comprend, pour quelle raison serait-il défendu de les aimer ? Or, Jean nous défend de les aimer. Si, donc, il ne faut pas aimer le monde, s’il ne faut pas aimer les choses qui s’y trouvent, il ne faut pas dire qu’ils sont de Dieu. Car tout ce qui vient de Dieu est bon et doit donc être aimé. Ce monde présent n’est-il pas le monde visible ? Qu’appelle-t-on « le monde », sinon le ciel, la terre, l’air, la mer et tout ce qu’ils renferment ?
Mais tout ce qui est dans ce monde n’est-t-il pas « concupiscence de la chair et concupiscence des yeux ? » (I Jean, 2, 15-16). Que peut convoiter l’œil, sinon ce qu’il voit ? Et qu’est-ce qui peut être vu sinon le visible ?
Ô savants dépourvus d’intelligence, « qui vous a ensorcelés, pour que vous soyez ainsi fermés à la vérité ? » (Gal., 3, 1).
« Ô vous, pleins de toute sorte d’artifice et de malice, enfants du Diable » (Act, 13, 10), « ennemis de la croix du Christ » (PhiL, 3, 18) et de toute justice, pourquoi ne cessez-vous pas de résister à la vérité ? « Aveugles conducteurs d’aveugles », (Matth., 15, 14) que peut-on trouver de plus clair dans les divines Écritures ? Mais pourquoi me fatiguerais-je plus longtemps à admonester des hérétiques ? N’ai-je pas été instruit de ce que le Christ est venu pour le jugement, afin que vous, qui avez des yeux, ne voyiez pas, et vous, qui avez des oreilles, n’entendiez pas ?[1]
« Je le sais bien » Et c’est pourquoi je désespère de votre conversion.

Mon analyse :
L’auteur nous explique que nous sommes trop fermés à la vérité pour comprendre des choses essentielles et que nous en restons aux apparences. Au lieu de comprendre que ce monde n’est pas de Dieu, comme le montrent les écritures, nous nous fions aux seules apparences de la visibilité. Or, cela vient de nous être montré, il y a l’apparence de visibilité que nous donnent nos sens et la vraie visibilité que nous donne l’accès à la connaissance spirituelle.

Chapitre XV

Mais que du moins ceux d’entre vous — ainsi aveuglés et enfermés dans le péché — qui ont encore des oreilles pour entendre, entendent ce que l’Esprit dit des bonnes créatures, qui sont absolument celles de Dieu. Il dit, en effet, dans les Psaumes : « Le Seigneur a affermi le monde, et le monde ne sera point ébranlé » (PS. 92,1). Au sujet de ce monde, l’Apôtre a déclaré aux Hébreux : « Que Dieu ne l’a pas soumis aux Anges, mais au Christ, son fils, qu’il a établi héritier de toutes choses et par qui il a même créé les siècles » (Hébr., 1, 2). De cette même terre, l’Apôtre dit encore, s’appuyant sur la prophétie du Psalmiste David : « C’est vous (dit-il), Seigneur, qui, au commencement du monde, avez affermi la terre » (Hébr., 1, 10). C’est dans cette terre (divine) que le même Prophète, placé sur notre terre-ci de misère et de ténèbres, souhaitait voir les biens du Seigneur dans la terre des vivants (PS. 26, 13). Il montrait par là que les biens du Seigneur ne peuvent être vus de façon totale que sur la terre des vivants. Et le même dit ailleurs : « J’ai crié vers vous. Seigneur, j’ai dit : vous êtes mon espérance et mon partage dans la terre des vivants » (PS. 141, 6). Et encore : « Que votre esprit, qui est bon, me conduise en cette terre de rectitude ! » (PS. 142,10) ; et à nouveau : « C’est au Seigneur qu’appartient la terre avec tout ce qu’elle contient ; l’univers et tous ceux qui l’habitent » (PS. 23, 1).
Il ne paraît pas possible que ces paroles s’appliquent à la terre dont David lui-même, s’identifiant au peuple d’Israël, déclare : « Comment pourrions-nous chanter les cantiques du Seigneur dans une terre étrangère ? » (PS. 136, 4) — ni à ce monde où habitent plus de maux que de biens et où « les rois de la terre se sont élevés et se sont ligués contre le Seigneur et contre son Christ », comme le prophétise David (PS. 2, 2). Il est donc évident que les rois et les princes, et les pharisiens, et tous ceux qui conspirent contre le Seigneur et contre son Christ, ne sont pas de Lui, puisque le Christ a dit : « Celui qui n’est point avec moi est contre moi » (Luc, 11, 23) ; et encore : « Ce qui fait que vous n’entendez pas mes paroles, c’est que vous n’êtes point de Dieu » (Jean, 8, 47). S’ils n’étaient pas de Dieu, ils n’habitaient pas le monde de Dieu. Mais les Juifs qui n’écoutaient point la parole du Seigneur, n’habitaient-ils pas ce monde ? En vérité, ils l’habitaient. Par conséquent, ce monde ci n’est pas celui dont le Prophète a parlé ; cette terre et tout ce dont elle est pleine ne paraissent pas pouvoir appartenir au Seigneur — puisque le péché y règne plus que le Bien — mais, tout au contraire, semblent appartenir au diable. Mais de cette terre dont David a parlé, et qui est vraiment du Seigneur, le Christ a dit lui-même : « Heureux ceux qui sont doux, parce qu’ils posséderont la terre » (Matth., 5, 4). C’est d’elle aussi que Job a dit : « Ses pierres sont des saphirs, et son sable est de la poudre d’or » (Job, 28, 6).

Mon analyse :
L’auteur poursuit son analyse et en tire la conclusion qu’il y a bien deux créations appelées également monde. Mais l’un est de Dieu et l’autre non. Or, nous sommes apparemment vivants sur celle qui n’est pas de Dieu et l’autre qui nous est réservée est plus grande que la première. C’est une vision humaine de la création spirituelle qui nous contient alors même que nous sommes aussi enfermés dans la création maléfique qui nous retient.

[1] Cf. Act, 28,26 ; et aussi l’« idole » dont parle saint Augustin (Soliloques, V) « qui a des yeux et qui ne voit point, etc. ».

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