Rituel latin de Florence – Consolation 1
Ce texte, écrit en latin était inséré vers la fin du « Livre des deux principes », dans un manuscrit de la ville de Florence[1]. Il semble postérieur au rituel occitan de Lyon qu’il semble amplifier. À ce titre, peut-être a-t-il été écrit directement par les Cathares réfugiés en Italie.
Le présent document est une traduction de René Nelli publié dans le recueil « Écritures cathares » publié par les éditions du Rocher dans une édition actualisée et augmentée par Anne Brenon en 1995. Pour respecter le droit des auteurs je ne vous livrerai ni la préface, ni les notices que vous trouverez dans le livre. J’espère qu’en ne publiant que la traduction je ne causerai aucun tort à personne et je permettrai à tous d’accéder à cet ouvrage essentiel à la compréhension de la doctrine cathare.
Je me suis également appuyé sur le travail de Déodat Roché, publié dans l’Église romaine et les Cathares albigeois, aux éditions Cahiers d’études cathares – 1957 – Narbonne.
2. Réception du Consolamentum
« Si le croyant doit être consolé tout de suite après qu’il a reçu l’oraison, il doit venir avec l’Ancien de sa résidence (de hospicio illius). Ils doivent faire trois révérences devant l’Ordonné et prier pour le bien de ce croyant. Cela fait, l’Ordonné, les chrétiens et les chrétiennes doivent prier Dieu par sept oraisons pour que l’Ordonné soit écouté (exaucé ?). Après quoi l’Ordonné doit dire : « Frères et sœurs, si j’ai dit ou fait quelque chose contre Dieu et mon salut, priez le Seigneur Dieu pour moi afin qu’il me pardonne. » Et l’« ancien », qui se tient à côté de l’Ordonné, dira : « Que le Père saint, juste, véridique et miséricordieux, qui a le pouvoir, dans le ciel et sur la terre, de remettre les péchés, vous remette et vous pardonne tous vos péchés en ce monde et vous fasse miséricorde dans le monde futur. » L’Ordonné doit dire à ce moment : Amen. Fiat nobis, domine, secundum verbum tuum. Chrétiens et chrétiennes feront alors trois révérences en disant : Benedicite, benedicite, benedicite, parcite nobis. Si nous avons dit ou fait quelque chose contre Dieu et notre salut, priez le Dieu de miséricorde qu’il nous pardonne. Benedicite, parcite nobis. Et que l’Ordonné réponde : « Père saint, juste, véridique et miséricordieux, etc. » comme il a été dit ci-dessus. »
Mon analyse :
L’Ancien et l’impétrant font donc leur Amélioration en demandant le Bien pour ce dernier. Ensuite, la communauté de Bons-Chrétiens fit une sixaine (la septième oraison est faite à voix basse par l’ordonné). On retrouve le fonctionnement du Rituel de Lyon. Ensuite, tout le monde fait pénitence et obtient rémission de ses péchés, ce qui permet de poursuivre puisqu’il faut que tous soient en état de grâce pour valider le sacrement.
De la réception du livre.
« Cela fait, que l’Ordonné dispose devant lui un plateau (en forme de disque). Le croyant se présentera à l’Ordonné et recevra le livre de ses mains, en faisant trois révérences, comme nous avons dit plus haut qu’il l’avait fait pour l’oraison. L’Ordonné devra dire ensuite : « Jean (par exemple), avez-vous la volonté de recevoir le baptême spirituel de Jésus-Christ et le pardon de vos péchés, grâce à l’intercession des bons chrétiens, avec l’imposition des mains, et de le conserver tout le temps de votre vie avec chasteté, humilité, et avec toutes les autres bonnes vertus que Dieu aura voulu vous accorder ? » Le croyant répondra : « Oui, j’en ai la volonté, priez Dieu qu’il me donne lui-même sa force. » L’Ordonné doit lui dire alors : « Que Dieu vous donne la grâce, la Consolation pour son honneur et pour votre salut ! »
Mon analyse :
Le Rituel débute par une mise en place, comme toujours, et l’Ordonné vérifie la volonté de l’impétrant d’aller au bout du sacrement.
Prédication de l’Ordonné.
« Alors l’Ordonné se mettra à prêcher en ces termes, s’il plaît au croyant :
Ô Jean, vous devez comprendre qu’en ce moment, vous venez pour la seconde fois[2] devant Dieu, devant le Christ et le Saint-Esprit puisque vous êtes devant l’Église de Dieu, et cela vous a été démontré ci-dessus par les Écritures. Vous devez comprendre que vous êtes ici pour recevoir le pardon de vos péchés, grâce aux prières des bons chrétiens, et par l’imposition des mains. C’est là le baptême spirituel de Jésus-Christ et le baptême du Saint-Esprit, comme l’a dit Jean-Baptiste : « Pour moi, je vous baptise dans l’eau (pour vous porter) à la pénitence ; mais celui qui va venir après moi est plus puissant que moi, et je ne suis pas digne de porter ses souliers ; c’est lui qui vous baptisera dans le Saint-Esprit et dans le feu » (Matth., III, 11). Et cela signifie que le Christ lui-même vous lavera et vous purifiera en entendement spirituel et en bonnes œuvres. Par ce baptême il faut entendre la renaissance spirituelle dont le Christ a parlé à Nicodème : « Si un homme ne renaît de l’eau et de l’Esprit Saint, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu » (Jean, III, 5). Baptême veut donc dire : lavage et superbaptême (supertinctio). D’où il faut comprendre que le Christ n’est pas venu pour laver les souillures de la chair, mais pour purifier de leurs ordures les âmes de Dieu créées par Dieu, qui ont été souillées par le contact des esprits malins. Comme le Seigneur le dit par le prophète Baruch à Israël, les ordonnances de la vie ; prêtez l’oreille pour apprendre ce que c’est que la prudence. « D’où vient, ô Israël, que vous êtes présentement dans le pays de vos ennemis, que vous languissez dans une terre étrangère, que vous vous souillez avec les morts, et que vous êtes regardé comme ceux qui descendent sous la terre ? C’est parce que vous avez quitté la source de la sagesse. Car si vous eussiez marché dans la voie de Dieu, vous seriez assurément demeuré dans une éternelle paix » (Bar., III, 9). David dit également : « Ô Dieu, les nations sont entrées dans votre héritage ; elles ont souillé votre saint temple ; elles ont réduit Jérusalem à être comme une cabane qui sert à garder les fruits » (Ps. LXXVIII, 1). Le peuple de Dieu a donc été pollué par la société des mauvais esprits. C’est pourquoi il a plu au Père très saint de laver son peuple de la souillure des péchés par le baptême de son saint Fils Jésus-Christ, comme le bienheureux Apôtre l’a dit aux Éphésiens : « Et vous, maris, aimez vos femmes comme Jésus-Christ a aimé l’Église et qu’il s’est livré lui-même à la mort pour elle ; afin de la sanctifier, en la purifiant par l’eau où elle est lavée, et par la parole de vie ; pour la faire paraître devant lui pleine de gloire, sans tache, sans rides, sans aucun défaut ; et afin de la rendre sainte et irrépréhensible » (Éph., V, 25-27).
Et ainsi, par la venue de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par la puissance de notre Père très saint, les disciples de Jésus-Christ furent purifiés par le baptême, des souillures de leurs péchés. Ils reçurent du Seigneur — comme Il les avait reçus lui-même de son Père très saint — la vertu et le pouvoir de purifier à leur tour d’autres pécheurs par le baptême de Jésus-Christ. On trouve, en effet, dans l’évangile du bienheureux Jean, que le Seigneur Jésus-Christ a dit à ses disciples, après sa résurrection : « Comme mon Père m’a envoyé, je vous envoie aussi de même. » Ayant dit cela, il souffla sur eux, et leur dit : « Recevez le Saint-Esprit. Les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez, et ils seront retenus à ceux à qui vous les retiendrez » (Jean, XX, 21-23). Dans l’évangile de Matthieu, le Christ dit à ses disciples : « Je vous le dis en vérité, tout ce que vous lierez sur la terre sera lié aussi dans le ciel, et tout ce que vous délierez sur la terre sera aussi délié dans le ciel. Je vous le dis encore, que si deux d’entre vous s’unissent ensemble sur la terre, quelque chose qu’ils demandent, elle leur sera accordée par mon Père qui est dans les cieux » (Matth., XVIII, 18-19). Et encore : « Que dit-on du Fils de l’homme ? Ils lui répondent : Les uns disent que vous êtes Jean-Baptiste, les autres, Élie ; les autres, Jérémie ou quelqu’un des prophètes. Jésus leur dit : Et vous, qui dites-vous que je suis ? Simon Pierre, prenant la parole, lui dit : Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant. Jésus lui répondit : Vous êtes bienheureux, Simon, fils de Jean, parce que ce n’est point la chair et le sang qui vous ont révélé ceci, mais mon Père qui est dans le ciel. Et moi je vous dis que vous êtes Pierre, c’est sur cette pierre que je bâtirai mon église ; et les portes de l’enfer ne prévaudront point contre elle. Je vous donnerai aussi les clefs du royaume des cieux (« à vous, Pierre », signifie : « à vous tous »), et tout ce que vous lierez sur la terre sera aussi lié dans le ciel ; et tout ce que vous délierez sur la terre sera aussi délié dans le ciel » (Matth., XVI, 13-19). Il dit encore à ses disciples : « Allez par tout le monde, prêchez l’évangile à toute créature. Celui qui croira et qui sera baptisé sera sauvé ; mais celui qui ne croira pas sera condamné. Voici les miracles que feront ceux qui auront reçu la foi : ils chasseront les démons en mon nom ; ils parleront de nouvelles langues ; ils manieront les serpents ; s’ils boivent quelque breuvage mortel, il ne leur fera point de mal ; et par l’imposition de leurs mains, ils guériront les malades » (Marc, XVI, 15-18). Il dit ailleurs : « Or, les onze disciples s’en allèrent en Galilée, sur la montagne où Jésus leur avait commandé de se trouver. En le voyant là, ils l’adorèrent ; quelques-uns néanmoins eurent quelque doute. Mais Jésus, s’approchant, leur parla ainsi : Toute puissance m’a été donnée dans le ciel et sur la terre. Allez donc et instruisez tous les peuples, les baptisant au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit ; et leur apprenant à observer toutes les choses que je vous ai commandées. Et assurez-vous que je serai moi-même avec vous jusqu’à la consommation des siècles » (Matth., CVIII, 16-20).
Aucun homme sensé ne pourra donc croire que l’Église de Jésus-Christ fasse ce baptême de l’imposition des mains sans autorités scripturaires évidentes, ni présumer que l’Église de Dieu fasse cette consécration (ordinamentum) par suite d’une conjecture hardie des disciples ou par humaine divination, ou par quelque inspiration inconnue et invisible des esprits[3]. C’est réellement (visibiliter) que les disciples de Jésus-Christ suivirent le Seigneur et demeurèrent avec lui, et qu’ils reçurent de lui le pouvoir de baptiser et de remettre les péchés comme le font maintenant les vrais chrétiens qui, en tant qu’héritiers des disciples ont reçu par degrés (gradatim) pouvoir de l’Église de Dieu de faire réellement (visibiliter) ce baptême par imposition des mains, et de remettre les péchés. On apprend, par là, avec évidence, par les Écritures du Nouveau Testament, que les disciples de Jésus-Christ, après son Ascension, pratiquèrent réellement ce ministère : cela ressort très clairement des Écritures. Il est écrit, en effet, dans les Actes des Apôtres : « Les apôtres, ayant appris que les habitants de Samarie avaient reçu la parole de Dieu, ils leur envoyèrent Pierre et Jean ; qui, étant arrivés, prièrent pour eux, afin qu’ils reçussent le Saint-Esprit. Car il n’était point encore descendu sur aucun d’eux mais ils avaient seulement été baptisés au nom du Seigneur Jésus. Alors ils leur imposaient les mains, et ils recevaient le Saint-Esprit » (Act., VIII, 14-17). Il est dit encore : « Pendant qu’Apollo était à Corinthe, Paul ayant parcouru les hautes provinces de l’Asie, vient à Éphèse, où ayant trouvé quelques disciples, il leur dit : Avez-vous reçu le Saint-Esprit depuis que vous avez embrassé la foi (depuis que vous êtes devenus « croyants » (credentes) ?) Ils lui répondirent : Nous n’avons pas même ouï-dire qu’il y ait un Saint-Esprit. Quel baptême, leur dit-il, avez-vous donc reçu ? Ils lui répondirent : Le baptême de Jean. Alors Paul leur dit : Il est vrai que Jean a baptisé (le peuple) du baptême de la pénitence, en disant au peuple qu’il devait croire en celui qui allait venir après lui, c’est-à-dire Jésus. Ce qu’ayant entendu, ils furent baptisés au nom du Seigneur Jésus. Après que Paul leur eut imposé les mains, le Saint-Esprit descendit sur eux ; et ils parlaient diverses langues, et prophétisaient. Ils étaient en tout environ douze hommes » (Act., XIX, 1-7). Dans les mêmes Actes, le Christ dit à Ananie : « Levez-vous et vous en allez dans la rue qu’on appelle la Droite, et cherchez dans la maison de Judas un nommé Saul de Tarse, car il y est en prières. (Et au même temps Saul avait une vision où il) voyait un homme appelé Ananie, qui entrait et lui imposait les mains afin qu’il recouvrât la vue, etc. Ananie s’en alla donc, et étant entré en la maison (où était Saul), il lui imposa les mains, et lui dit : Saul, mon frère, le Seigneur Jésus qui vous a apparu dans le chemin par où vous veniez m’a envoyé, afin que vous recouvriez la vue, et que vous soyez rempli du Saint-Esprit. Aussitôt il tomba de ses yeux comme des écailles et il recouvra la vue ; et s’étant levé, il fut baptisé. Ayant ensuite mangé, il reprit des forces » (Act, XIX, 11-19). Et ailleurs encore : « Or, il se rencontra que le père de Publius était au lit, malade d’une fièvre et d’une dysenterie. Paul l’alla donc voir, et ayant fait sa prière, il lui imposa les mains et le guérit » (Act., XXVIII, 8). L’Apôtre dit à Timothée : « C’est pourquoi je vous avertis de rallumer la grâce de Dieu, que vous avez reçue par l’imposition de mes mains » (I Tim., V, 22). Et de nouveau : « Ne vous pressez pas d’imposer les mains à personne, et ne vous rendez point participant des péchés d’autrui. » Et le même apôtre, dans l’épître aux Hébreux parle « de la doctrine qui regarde les (diverses espèces de) baptêmes, et aussi de l’imposition des mains » (Hébr., VI, 2). »
Mon analyse :
Le prêche de l’Ordonné est entièrement orienté dans la démonstration des vertus du baptême d’esprit. Il en trouve la démonstration dans l’Ancien et le Nouveau testament. Grâce à leur culture et à leurs connaissances, les Cathares avaient cette possibilité d’utiliser les citations de ces textes pour appuyer et valider leurs propres dires. C’est bien à cause de cela qu’ils mettaient souvent en difficultés les Catholiques, tant devant les fidèles que lors des confrontations (disputatio) les opposant les uns aux autres.
Le baptême d’esprit est donc le moyen de laver l’esprit saint, prisonnier de la matière diabolique, de toute trace du Mal qui le contraint. C’est aussi pour cela que la plus grande pureté était exigée des participants avant le sacrement et que le nouveau baptisé devait poursuivre son abstinence purificatrice après l’avoir reçu.
[1] Traduit et édité pour partie (ouvrage incomplet) par le P. Dondaine dans : Un traité néo-manichéen du XIIIe siècle. Le Liber de duobus principiis, suivi d’un fragment du rituel cathare – Istituto storico domenicano. S. Sabina. Roma 1939.
[2] Le croyant s’est présenté une première fois devant l’Église de Dieu pour « recevoir » l’Oraison.
[3] « Ou par une inspiration insolite d’esprits invisibles » (D. Roche).