Ce texte, traduit et annoté par Anne Brenon, fut mis en avant au début des années soixante par Théo Venckeleer, philologue belge, qui l’avait trouvé dans un manuscrit conservé à la bibliothèque du Trinity Collège de Dublin sous la cote A 6 10 et reclassé maintenant sous l’appellation « manuscrit 269 ».
Le présent document est donc un ajout à l’ouvrage de René Nelli, « Écritures cathares » publié par les éditions du Rocher dans une édition actualisée et augmentée par Anne Brenon en 1995. Pour respecter le droit des auteurs je ne vous livrerai ni la préface, ni les notices que vous trouverez dans le livre. J’espère qu’en ne publiant que la traduction je ne causerai aucun tort à personne et je permettrai à tous d’accéder à cet ouvrage essentiel à la compréhension de la doctrine cathare.
J’ai également utilisé la publication de Déodat Roché : Un Recueil cathare. Le manuscrit A. 6. 10. de la « collection vaudoise » de Dublin, publié dans le n°46 de la série II (XXIe année) de l’été 1970 des Cahiers d’études cathares.
Sainte Église[1]
Sainte Église sert Dieu avec crainte, comme le dit l’apôtre saint Paul (Phil 2, 12) : « Avec crainte et en tremblant, œuvrez pour votre salut ». Et c’est pourquoi sainte Église croit aux paroles du prophète David, car il dit (Ps 2, 11) : « Servez Dieu avec crainte », car ainsi, servant Dieu avec crainte, elle doit recevoir aide. Saint Paul dit ensuite (Gal 4, 26) : « La Jérusalem d’en haut est libre ; c’est elle qui est notre mère ». Là sont les esprits auxquels les âmes doivent être attachées en bonnes œuvres et édifiées par Dieu comme eux[2]. Et de cela le prophète David dit (Ps 121, 3) : « Jérusalem, qui est bâtie comme une ville, où tout ensemble fait corps ».
Cette Jérusalem supérieure qui est notre mère demeura longtemps stérile et sans enfanter, jusqu’à ce qu’il plut au bon Seigneur, au Père célestiel, que de tous les milliers d’esprits elle enfanta et il élut son Fils Jésus-Christ et l’envoya aux âmes pour nous aider. Et il dit à propos de cela au livre de la Sagesse (Cant 5, 10) : « Mon aimé est blanc et vermeil, l’élu ». C’est à lui que la voix divine dit (Lc 3, 22) : « Tu es mon Fils aimé, en lequel tout me plaît bien ».
Ainsi le bon Seigneur, qui voulut de la servante prendre un fils et en avoir un de la femme libre, c’est-à-dire de l’esprit et de la loi de l’esprit de vie qu’elles tenaient[3], voulut avoir et prendre son Fils aimé Jésus-Christ et nous l’envoyer pour qu’il nous délivre et nous délie de la loi de mort en laquelle nous étions tenus et que nous observions, et pour que nous allions désormais dans le renouvellement de l’esprit, ainsi que le dit saint Paul (Rom 7, 6) : « Désormais nous sommes déliés de la loi de péché et de mort dans laquelle nous étions tenus etc. »
Ainsi Dieu nous a-t-il libérés par Jésus-Christ Notre Seigneur.
Mon analyse :
Je vois une nuance qui me semble importante entre la première citation de Paul qui nous demande d’être dans la crainte et de trembler pour notre salut, ce que je comprends comme l’affirmation de la précarité de ce dernier quand c’est nous qui œuvrons pour lui, et la citation de David qui demande de servir Dieu avec crainte, ce que je comprend comme une inquiétude envers l’attitude possible de Dieu vis-à-vis de nous. Le Chrétien ne craint pas Dieu car il sait que Dieu n’a que de la Bienveillance à son égard. L’auteur manifeste ainsi cette tendance judéo-chrétienne à concevoir les rapports entre les hommes et Dieu sous le rapport de la peur, de la crainte des châtiments. Paul rétablit d’ailleurs très bien cela en nous rappelant que la Jérusalem céleste, notre sein donc, est comme une mère, mais une mère désertée par ses esprits. Comme le disent les témoignages devant l’Inquisition, c’est : « voyant qu’il était appauvri d’esprits et comme solitaire… Et il songea au moyen par lequel les esprits… pourraient revenir à leurs sièges[4]. » que Dieu va envoyer le Christ. S’il est appelé Fils, ce n’est pas par un lien de filiation comparable à ceux qui ont court ici-bas, mais parce qu’il a accepté la mission proposée malgré la douleur qu’elle annonce et provoque. La libération n’est pas celle que croit comprendre l’auteur qui reste dans sa dimension judéo-chrétienne de l’homme inactif. C’est par la connaissance qu’il nous délivre en nous révélant la vérité de notre emprisonnement et les moyens de lui échapper, comme Adam et Ève furent « libérés » par le serpent qui leur révéla les mensonges du démiurge se faisant passer pour Dieu[5].
[1] Ms de Dublin, 3. P 76a-77a.
[2] C’est le rôle et la signification du consolament. Je traduis par édifiées le mot enfedicadas, qui est sans doute une étourderie du scribe pour endificadas — à moins qu’il ne s’agisse d’un mot fabriqué à partir de la racine feda/brebis, et signifiant « devenues brebis ».
[3] Sans doute manque-t-il ici un mot ou un passage, car le texte est incohérent ; l’on comprend fort bien que l’auteur veut développer l’allégorie des deux alliances d’Abraham (Gal. 21-30), et que le fils d’Agar représente pour lui celui de la Jérusalem terrestre, servante de la Loi du monde, mais on ne sait pas très bien si le fils de Sara, qui représente le règne de l’Esprit en la Jérusalem céleste, peut être considéré directement comme le Christ lui-même, fils de cette Jérusalem d’en haut qui est dite notre mère — le Christ étant Fils élu de Dieu ?
[4] Jean Duvernoy. La religion des Cathares – Le Catharisme (t. 1) – Éd. Privat (Toulouse) 1976, p. 77
[5] Éric Delmas. Catharisme d’aujourd’hui. Le Christianisme cathare, du premier siècle à nos jours. Son histoire, sa doctrine et sa pratique ecclésiale – Éd. Catharisme d’aujourd’hui (Carcassonne) 2015, pp. 315 et 316