Rituel occitan de Dublin – Glose du Pater – 4


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Ce texte, traduit et annoté par Anne Brenon, fut mis en avant au début des années soixante par Théo Venckeleer, philologue belge, qui l’avait trouvé dans un manuscrit conservé à la bibliothèque du Trinity Collège de Dublin sous la cote A 6 10 et reclassé maintenant sous l’appellation « manuscrit 269 ».
Le présent document est donc un ajout à l’ouvrage de René Nelli, « Écritures cathares » publié par les éditions du Rocher dans une édition actualisée et augmentée par Anne Brenon en 1995. Pour respecter le droit des auteurs je ne vous livrerai ni la préface, ni les notices que vous trouverez dans le livre. J’espère qu’en ne publiant que la traduction je ne causerai aucun tort à personne et je permettrai à tous d’accéder à cet ouvrage essentiel à la compréhension de la doctrine cathare.
J’ai également utilisé la publication de Déodat Roché : Un Recueil cathare. Le manuscrit A. 6. 10. de la « collection vaudoise » de Dublin, publié dans le n°46 de la série II (XXIe année) de l’été 1970 des Cahiers d’études cathares.

LA GLOSE DU PATER

Fiat voluntas tua sicut in celo et in terra

Ce peuple, oraison faite au Père pour la sanctification de son nom et pour l’avènement de son règne, comme il est montré ci-dessus, prie encore son Père pour que sa volonté soit faite dans le ciel comme sur la terre. Mais quelle est cette volonté de Dieu qui doit être faite dans le ciel comme sur la terre ? Saint Paul le montre aux Thessaloniciens lorsqu’il dit (IThes 4, 3-6 ; 5, 14-18) : « Telle est la volonté de Dieu : que vous vous absteniez de la fornication ; que chacun sache posséder son vase en sanctification et en honneur, et non en passion du désir, comme les gens qui ignorent Dieu ; et que personne ne trompe ou ne supplante son frère en la matière, car le Seigneur est vengeur de toutes ces choses ; reprenez les impatients, réconfortez ceux qui n’ont guère de courage, soutenez les faibles, soyez patients envers tous, veillez à ce que personne ne rende à personne le mal pour le mal, mais suivez toujours ce qui est bon, entre vous et autour de vous. Soyez toujours joyeux devant le Seigneur, priez constamment, rendez grâce en toutes choses : telle est la volonté de Dieu dans le Christ, en vous tous ».
Et comme « le Père fait toute chose selon le conseil de sa volonté », ainsi que le dit saint Paul aux Éphésiens (Éph 1, 11), son Fils est descendu du ciel pour faire sa volonté et enseigner à ses frères quelle est la volonté du Père, comme il le montre dans l’évangile lorsqu’il dit (Jn 6, 38-40) : « Car je suis descendu du ciel, non par ma volonté, mais pour faire la volonté de celui qui m’a envoyé ; et telle est la volonté du Père qui m’a envoyé, que tout ce que le Père m’a donné, je n’en perde rien, mais que je le ressuscite au dernier jour ; car telle est la volonté de mon Père qui m’a envoyé, que quiconque voit le Fils et croit en lui ait la vie éternelle, et je le ressusciterai au dernier jour ». Et c’est pourquoi l’apôtre prie ses frères (Rom 12, 2 ; Éph 5, 17) : « qu’ils comprennent et manifestent quelle est la volonté de Dieu, bonne, agréable et parfaite ». Et il prie aussi Dieu pour eux, qu’il les munisse de tout bien, de manière à ce qu’ils fassent sa volonté ; et il dit aux Hébreux (Héb 13, 21) : « Dieu vous emplisse de tout bien, que vous fassiez sa volonté ; et qu’il fasse en vous ce qui lui plaît à lui, par Jésus-Christ ».
Et il faut savoir que le saint Père que ce peuple prie est Père du ciel et de cette terre où il convient que sa volonté soit faite, c’est-à-dire dans l’un comme dans l’autre, comme Notre Seigneur le montre dans l’évangile en disant (Mt 11, 25) : « Je te loue, Seigneur du ciel et de la terre ». Et ce ciel est l’esprit, car l’esprit est appelé ciel. La Visitation et la charité sont elles aussi appelées ciel, comme il est écrit au livre de Jésus Syrach (Eccli 16, 18-19) : « Voici, le ciel et le ciel des ciels seront ébranlés à son regard, et quand Dieu regardera, ils s’écrouleront ensemble en tremblant ». Mais la terre sur laquelle la volonté de Dieu doit être faite, est la terre de vie, celle qui est posée sous le ciel, c’est-à-dire sous l’esprit. Ainsi ce peuple, c’est-à-dire la congrégation des esprits[1], prie pour que le Seigneur miséricordieux ait pitié des vies comme d’eux-mêmes et les sanctifie, de manière à ce que le Seigneur agisse sur la vie comme il agit sur l’esprit.
C’est pourquoi le Psalmiste, qui est l’esprit du premier formé, prévoyant, dans l’esprit, la miséricorde de Dieu descendant sur les vies, promet et dit qu’il louera et bénira son Dieu dans sa vie, par ces paroles (Ps 42, 4-5) : « Car meilleure est ta miséricorde sur les vies, mes lèvres te loueront et ainsi je te bénirai dans ma vie ». Et pourtant le même prophète, priant pour le salut de son âme, dit (Ps 40, 5) : « Ô Seigneur, aie pitié de moi et guéris mon âme ; car j’ai péché devant toi ». Et il dit encore (Ps 119, 2) : « Ô Seigneur, délivre mon âme des lèvres félones et de la langue perfide ». Mais le même prophète, comprenant que sa prière avait été entendue de son Dieu, c’est-à-dire que le Seigneur avait fait du bien à son âme et l’avait délivrée de la mort — comme il l’indique par les paroles (Ps 114, 7) : « Ô mon âme, retourne à ton repos, car le Seigneur t’a fait du bien » —, convie cette même âme à louer son Seigneur Dieu. Et il montre aussi qu’il loue le Seigneur dans sa vie, en disant (Ps 145, 1) : « Ô mon âme, loue le Seigneur ! Je louerai le Seigneur dans ma vie, je me réjouirai de mon Dieu aussi longtemps que je serai ».
Ce même prophète convie cette même âme qui est sienne à bénir son Seigneur d’avoir racheté sa vie de la mort, lorsqu’il dit (Ps 102, 1-4) : « Ô mon âme, bénis le Seigneur, qui a racheté ta vie de la mort ». Et ainsi, ces III substances, à savoir l’esprit, la vie et l’âme, ayant reçu grâce et miséricorde de leur Père, sont tenues à rendre d’une seule voix louange, bénédiction et allégresse au Seigneur.

Mon analyse :
Certes, l’auteur montre bien ici que la volonté de Dieu s’exerce sur les esprits qui sont sur cette terre. Néanmoins il ne peut s’empêcher d’assimiler la terre à la création divine : « Mais la terre sur laquelle la volonté de Dieu doit être faite, est la terre de vie, celle qui est posée sous le ciel, c’est-à-dire sous l’esprit ».
Pour ma part je veux croire qu’il s’agit d’une action de Dieu sur ce qui relève de son pouvoir, c’est-à-dire, nous, les esprits saints tombés dans la matière. En effet, Dieu ne être créateur de ce monde imparfait et ne peut donc avoir de volonté sur ce qui ne relève pas de lui, sauf à perdre son statut divin.

[1] On peut comprendre : le peuple chrétien (celui qui dit le Pater, c’est-à-dire les chrétiens cathares) est en effet l’ensemble de ceux qui ont reçu l’esprit par le consolament. La sanctification des vies qui est ici demandée, correspond à la mise en conformité évangélique des vies de ces chrétiens : voir le texte de l’Église de Dieu.

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