R.P.C. Homélies du Pseudo-Clément
Le Roman Pseudo-Clémentin est la désignation moderne d’un ensemble composé d’un texte grec, les Homélies du Pseudo-Clément et d’un texte latin, les Reconnaissances du pseudo-Clément. Pour des raisons de validation, tant du point de vue de l’autorité que de l’ancienneté, ces textes sont placés sous le nom de Clément de Rome, qui est présenté par Irénée de Lyon comme le troisième successeur de Pierre à la tête de la communauté de la fin du 1er siècle.
Je m’appuie pour les textes originaux sur l’édition de la Bibliothèque de la Pléiade aux éditions Gallimard : Écrits apocryphes chrétiens. Cet ouvrage publié en 2005, était sous la direction de Pierre Géoltrain et Jean-Daniel Kaestli. Comme d’habitude les introductions, notices et notes ne sont pas reproduites afin de vous inciter à acquérir cet ouvrage et de ne pas nuire aux droits d’auteurs.
Épitre de Clément à Jacques
Chapitre 1
1 – Clément à Jacques le seigneur et évêque des évêques, qui dirige à Jérusalem la sainte Église des Hébreux et celles qui partout ont été heureusement fondées par la providence de Dieu, avec les presbytres, les diacres et tous les autres frères. Que la paix soit toujours <avec toi>.
2 – Sois informé, mon seigneur, que Simon, qui, en raison de sa vraie foi et des principes très sûrs de son enseignement, a été établi comme fondement de l’Église et a reçu pour cela de la bouche véridique de Jésus lui-même le surnom de Pierre,
3 – lui les prémices de notre Seigneur, le premier des apôtres, le premier à qui le Père révéla le Fils, lui que le Christ a justement proclamé bienheureux, l’appelé, l’élu, le compagnon de table et de route, le disciple bon et éprouvé, celui qui a reçu, comme le plus apte de tous, la mission d’éclairer la partie du monde la plus obscure, c’est-à-dire l’Occident, et qui a su la mener à bien —
4 – mais jusqu’où prolonger cet éloge, par crainte d’annoncer l’affligeante nouvelle, dont il me faut en tout cas nécessairement te faire part, tôt ou tard ? —
5 – ce Simon qui, dans son amour démesuré pour les hommes, sous le présent règne du Malin, a révélé clairement et publiquement au monde entier le bon Roi à venir, venant jusqu’ici à Rome, sauvant les hommes par son enseignement voulu par Dieu, lui, Simon, a quitté par une mort violente cette présente vie pour une autre.
Mon analyse :
Clément se charge d’annoncer la mort de Pierre à Jacques. Ce faisant il le glorifie largement au-dessus de ses mérites, notamment en matière de transmission de la foi.
Chapitre 2
1 – Dans les jours mêmes qui précédèrent sa mort, nos frères s’étant réunis, il me prit subitement la main, se leva, et dit devant la communauté :
2 – « Écoutez-moi, frères et compagnons dans le service de Dieu. Puisque, comme me l’a révélé le Seigneur et Maître qui m’a envoyé en mission, Jésus-Christ, les jours de ma mort sont proches, je désigne comme votre évêque Clément que voici, à qui je confie la chaire de mon enseignement :
3 – il a fait route avec moi depuis le début jusqu’à la fin, et ainsi il a été l’auditeur de tous mes entretiens, en un mot, il a partagé toutes mes épreuves et s’est montré ferme dans la foi ; j’ai éprouvé en lui plus que chez tout autre la piété, la charité, la chasteté, la science, la tempérance, la bonté, la justice, la longanimité et la noble capacité à supporter les marques d’ingratitude de certains catéchumènes.
4 – Voilà pourquoi je lui confie le pouvoir de lier et délier, afin que tout ce qu’il aura décidé sur la terre soit décrété dans le ciel. Car il liera ce qu’il faut lier et déliera ce qu’il faut délier, parce qu’il connaît la règle de l’Église.
5 – Écoutez-le donc, en sachant que quiconque contriste celui qui préside à la vérité commet un péché envers le Christ et irrite le Père de l’univers : il lui en coûtera la vie.
6 – Car il faut que celui-là même qui assure la présidence tienne lieu de médecin, et n’ait pas l’emportement d’une bête privée de raison. »
Mon analyse :
Clément annonce que Pierre l’a nommé son successeur devant toute la communauté, en prévision de sa mort. Pierre aurait présenté Clément comme le plus apte et le meilleur pour cette mission.
Chapitre 3
1 – À ces mots, je tombai à ses pieds et l’implorai, déclinant l’honneur et le pouvoir de la chaire.
2 – Il me répondit :
« Ne me demande rien à ce sujet : ma décision est arrêtée, et cela d’autant plus que tu la déclines, car une chaire de cette nature ne requiert pas quelqu’un d’entreprenant, avide de l’occuper, mais de prudent dans son comportement et d’instruit dans notre doctrine.
3 – Indique-moi donc quelqu’un qui soit meilleur que toi, qui plus que toi ait partagé ma route, écouté mes discours, appris le gouvernement de l’Église, et je ne te contraindrai pas à bien agir malgré toi.
4 – Mais tu ne pourras pas maintenant me proposer un meilleur choix que toi ; car toi, tu es les meilleures prémices des gentils sauvés par mon ministère.
5 – D’ailleurs, fais-toi encore cette réflexion : si, par crainte du risque de pécher, tu repousses la direction de l’Église, sois bien conscient que tu commets un péché plus grand, en refusant de porter secours, alors que tu le pourrais, aux fidèles qui sont pour ainsi dire exposés aux périls de la navigation, parce que tu ne considères que ton propre intérêt, et non celui de toute la communauté.
6 – Et que tu doives dans tous les cas assumer ce risque, comme je ne cesse de te le demander pour venir en aide à la communauté, tu le sais fort bien.
7 – Plus vite tu me donneras ton assentiment, plus vite tu me soulageras de mon inquiétude.
Mon analyse :
Pierre précise que Clément est le meilleur candidat et il signale même qu’il est tel car il est d’origine non juive. Cela a deux conséquences : d’abord confirmer indirectement le point de vue de Paul, selon lequel les nations sont accessibles au Christianisme et préparer Jacques à accepter Clément, lui qui attachait une si grande importance au respect du Judaïsme dont le Christianisme n’était — à ses yeux — qu’un courant religieux.
Chapitre 4
1 – « Je sais moi aussi, Clément, que je te fais présent de peines, d’inquiétudes, de dangers, de critiques de la part de foules ignorantes, que tu sauras supporter noblement, dans la perspective de la grande récompense que Dieu te réserve pour ton endurance.
2 – Mais médite encore avec moi exactement sur ce point : quand le Christ a-t-il besoin de ton secours ? Est-ce maintenant, alors que le Malin a déclenché une guerre contre sa jeune épousée ? Ou bien est-ce pour le temps à venir, quand, vainqueur, il régnera et qu’il n’aura plus besoin d’aucune aide ? N’est-il pas évident, même pour un esprit borné, que c’est maintenant ?
3 – Empresse-toi donc de porter secours au bon Roi, de toute ta volonté, au moment où s’en présente la nécessité, parce qu’il est dans sa nature d’accorder de grandes récompenses après la victoire.
4 – Réjouis-toi donc de devenir évêque, sous des auspices d’autant plus favorables que c’est de moi que tu as appris le gouvernement de l’Église, pour le salut des frères qui trouvent refuge auprès de nous.
Mon analyse :
Là encore, Clément insiste par la voix de Pierre sur le fait qu’il l’a nommé en raison des difficultés rencontrées par l’Église et qu’il est donc nécessaire de valider ce choix.
Chapitre 5
1 – « Au reste, je veux te rappeler en peu de mots, devant tous et pour le profit de tous, les devoirs de ta charge.
2 – Il faut que tu mènes une vie irréprochable et que tu écartes de toi avec le plus grand soin tous les tracas de la vie, refusant de servir de garant ou d’avocat et de te laisser impliquer dans quelque autre affaire séculière.
3 – Car le Christ ne veut pas que tu tiennes lieu de juge et d’arbitre dans des questions d’argent ou dans des entreprises — ce qui constitue les affaires du monde présent —, de peur qu’accablé par les soucis présents des hommes, tu n’aies pas le temps de séparer par la doctrine de vérité les gens de bien des méchants.
4 – Ces services, que ce soient les disciples qui se les rendent les uns aux autres, et qu’ils ne te détournent pas de l’instruction susceptible de t’apporter le salut.
5 – Car de même qu’il est pour toi impie d’assumer les soucis séculiers en négligeant de faire ce dont tu as reçu la mission, de même c’est un péché pour chaque laïc de refuser l’entraide même dans les besoins séculiers.
6 – Que toute la communauté apprenne des diacres, si elle n’y pense pas d’elle-même, à te laisser libre des tracas qui ne doivent pas être les tiens, afin que tu n’aies souci que de l’Église, veillant à bien la gouverner et à lui dispenser les doctrines de vérité.
Mon analyse :
Maintenant, c’est une règle de vie communautaire que Clément déroule, un peu comme un programme politique d’un futur élu. Clément ne devra pas s’impliquer dans la vie communautaire afin de se réserver à des activités plus nobles. C’est tout l’opposé de la règle cathare où les responsables doivent assumer leur part des tâches communes.
Chapitre 6
1 – « Car si tu te laisses accaparer par des tracas séculiers, tu te tendras un piège à toi-même ainsi qu’aux fidèles. Car si tu ne peux pas leur donner le viatique qui leur serait utile faute de disponibilité, tu seras toi aussi châtié pour ne pas leur avoir appris ce qui leur aurait été utile, tandis qu’eux, privés d’enseignement, Ils seront perdus pour cause d’ignorance.
2 – Aussi garde-toi disponible pour eux, et assure la présidence en veillant à délivrer en temps opportun les enseignements susceptibles de les sauver ;
3 – et qu’eux, ils t’écoutent, en sachant que tout ce que lie sur la terre le héraut de la vérité est aussi lié dans le ciel et tout ce qu’il délie y est délié. Et toi, tu lieras ce qui doit être lié et délieras ce qui doit être délié.
4 – Telles sont, parmi d’autres semblables, les dispositions qui te concernent en tant que chef de la communauté.
Mon analyse :
Il semble que Pierre, par la bouche de Clément, doute qu’il soit possible d’être à la fois pratiquant et enseignant. C’est pourtant essentiel et ceux qui ne le peuvent montrent vraisemblablement qu’ils ne sont pas prêts pour l’enseignement car encore trop accaparés à leur propre apprentissage.
Chapitre 7
1 – « Quant à celles qui concernent les presbytres, les voici. En tout premier lieu, qu’ils unissent par le mariage les jeunes gens de bonne heure, prévenant les pièges du désir dans sa verdeur.
2 – Mais qu’ils ne dédaignent pas non plus de marier ceux qui sont déjà âgés ; car le désir se manifeste aussi avec vigueur chez certaines personnes d’âge avancé.
3 – Donc, pour éviter que la fornication ne trouve contre vous un aliment et n’introduise en vous la même peste, prenez vos précautions et tâchez d’éviter que le feu de l’adultère ne s’allume en vous à votre insu.
4 – Car c’est un grand mal que l’adultère, si grand qu’il vient en second pour la gravité du châtiment ; car la première place est réservée à ceux qui sont dans l’erreur, même s’ils se montrent tempérants.
5 – Aussi vous, en tant que presbytres de l’Église, exercez à la tempérance la fiancée du Christ — par » fiancée « , j’entends le corps de l’Église — ;
6 – car si le Roi son fiancé la trouve chaste, elle sera comblée des plus grands honneurs, et vous, vous serez comblés de joie, parce que vous serez conviés à la noce.
7 – Mais s’il la prend en faute, elle sera rejetée, et vous, vous serez châtiés, pour peu qu’à l’origine de sa faute, il y ait eu votre négligence.
Mon analyse :
Concernant la communauté, il ressort le sentiment que la foi n’est pas en mesure de maintenir une certaines ascèse, ce qui oblige les responsables à prendre des mesures pour contrecarrer des passions mal contenues. On voit encore la supériorité de la conception cathare. Plutôt que de vouloir contraindre, le Catharisme laisse à chacun le temps de se convaincre de l’importance des choix les plus justes. Dès lors, il n’y a plus de contrainte nécessaire ; les choses vont de soi.
Chapitre 8
1 – « En conséquence, que votre principal souci soit la tempérance ; car il est établi que la fornication est particulièrement odieuse à Dieu.
2 – Or, il existe de multiples formes de fornication, ainsi que vous l’expliquera Clément lui-même ; mais la première forme de l’adultère, c’est lorsqu’un homme ne se contente pas de sa propre épouse, et une femme, de son propre époux.
3 – Si quelqu’un fait preuve de tempérance, il peut aussi se montrer charitable, ce qui lui assurera une miséricorde éternelle.
4 – Or, si l’adultère est un grand mal, la charité est un très grand bien.
5 – Aussi aimez tous vos frères, avec des yeux pleins de piété et de miséricorde, jouant le rôle des parents avec les orphelins, d’époux avec les veuves, procurant de la nourriture avec la plus grande joie,
6 – arrangeant les mariages pour les jeunes gens qui sont en pleine vigueur, procurant à ceux d’entre eux qui n’ont pas de métier les moyens de gagner leur vie par des activités, à l’artisan un travail, à l’invalide votre pitié.
Mon analyse :
Il est rappelé l’importance de la charité, c’est-à-dire la Bienveillance (agapê). Pierre qui l’avait si mal compris dans son dialogue avec Jésus, se sent obligé de rappeler cela à Clément ? Cela ne peut qu’étonner.
Chapitre 9
1 – « Je sais que cela, vous le ferez si vous établissez la charité en votre cœur. Or, pour l’y introduire, il n’existe qu’un moyen efficace, qui est de prendre le sel en commun.
2 – Veillez donc à partager plus fréquemment, dans la mesure
du possible, vos repas les uns avec les autres, pour ne
pas laisser se perdre la charité. Car elle est le fondement de
la bienfaisance, qui est elle-même le fondement du salut.
3 – Tous, mettez en commun vos propres ressources avec
tous vos frères en Dieu, sachant que pour des présents éphémères, vous recevrez des biens éternels.
4 – Plus encore,
nourrissez ceux qui ont faim, donnez à boire à ceux qui ont
soif, des vêtements à ceux qui sont nus ; visitez les malades,
allez dans les prisons voir les détenus, et secourez-les autant
que vous le pouvez ; recevez les étrangers dans vos propres
maisons avec le plus grand empressement.
5 – Du reste, et
pour ne pas entrer dans le détail, c’est la charité qui vous
apprendra à pratiquer toute forme de bien, tandis que la
haine d’autrui enseigne la méchanceté à ceux qui ne veulent
pas être sauvés.
Mon analyse :
Voilà un point de vue que l’on ne peut que partager. La Bienveillance est à la base de tout. C’est d’elle que tout découle.
Chapitre 10
1 – « Que les frères qui ont des différends entre eux ne les règlent pas devant les autorités, mais qu’ils laissent les presbytres de l’Église les réconcilier d’une façon ou d’une autre, en se soumettant résolument à leur décision.
2 – Mais fuyez aussi la cupidité, qui, sous le prétexte d’un gain éphémère, peut vous priver de biens éternels.
3 – Veillez soigneusement à vos balances, à vos mesures et à vos poids, à leur justesse selon les lieux ; soyez des dépositaires fidèles.
4 – D’ailleurs ces règles et autres analogues, vous accepterez de les observer jusqu’au bout, si vous gardez constamment présent dans votre cœur le souvenir du jugement que rendra Dieu.
5 – Car qui péchera, s’il est pleinement convaincu qu’un Dieu juste, qui pour l’instant ne fait preuve que de longanimité et de bonté, a décidé qu’il y aurait un jugement à la consommation des temps, pour que les hommes de bien jouissent désormais pour l’éternité de biens ineffables, mais que les pécheurs avérés connaissent l’éternité d’un châtiment indicible pour leur méchanceté ?
6 – Qu’il en soit bien ainsi, il serait peut-être raisonnable d’en douter, si le Prophète de vérité n’avait affirmé sous la foi du serment que cela se produirait.
Mon analyse :
Les règles de vie au sein de la communauté chrétienne sont basées sur l’acceptation de l’autorité de l’Église. Dans les conflits internes, la place est donnée à l’arrangement amiable, sous la conduite d’une autorité religieuse qui est à même d’apprécier l’aspect spirituel des choses, contrairement à une autorité civile. L’honnêteté demandée à chacun est fondée sur la logique de la foi. Comment peut-on commettre le mal si l’on est convaincu que Dieu veut le bien ?