R.P.C. Engagement solennel
Le Roman Pseudo-Clémentin est la désignation moderne d’un ensemble composé d’un texte grec, les Homélies du Pseudo-Clément et d’un texte latin, les Reconnaissances du pseudo-Clément. Pour des raisons de validation, tant du point de vue de l’autorité que de l’ancienneté, ces textes sont placés sous le nom de Clément de Rome, qui est présenté par Irénée de Lyon comme le troisième successeur de Pierre à la tête de la communauté de la fin du 1er siècle.
Je m’appuie pour les textes originaux sur l’édition de la Bibliothèque de la Pléiade aux éditions Gallimard : Écrits apocryphes chrétiens. Cet ouvrage publié en 2005, était sous la direction de Pierre Géoltrain et Jean-Daniel Kaestli. Comme d’habitude les introductions, notices et notes ne sont pas reproduites afin de vous inciter à acquérir cet ouvrage et de ne pas nuire aux droits d’auteurs.
Engagement solennel destiné à ceux qui reçoivent le livre
Chapitre 1
1 – Après avoir lu la lettre, Jacques convoqua les presbytres, leur en fit la lecture, et dit :
« Notre Pierre rappelle qu’il est nécessaire et opportun de préserver la vérité, en refusant de communiquer à n’importe qui les livres de ses prédications qu’il nous envoie, mais à un homme de bien et de réflexion, qui ait aussi choisi l’enseignement et qui soit un fidèle circoncis. Et que tout cela ne lui soit pas révélé d’un seul coup, afin que, s’il est convaincu de légèreté dans les premiers enseignements, on ne lui confie pas les seconds.
2 – En conséquence, qu’on ne le mette pas à l’épreuve moins de six années, et qu’ensuite, selon la pratique de Moïse, on le conduise à une rivière ou à une source, c’est-à-dire à une eau vive, là où s’opère la régénération des justes, et qu’on lui demande non pas de prêter serment, car cela n’est pas permis, mais, debout près de l’eau, comme nous avons reçu nous-mêmes l’ordre de le faire quand nous avons été régénérés, de prononcer l’engagement solennel de ne pas pécher.
Mon analyse :
Cet engagement est un morceau d’anthologie ! Il nous révèle la fracture — le schisme au sens propre —, entre le Judéo-christianisme dont Jacques est le responsable de l’époque, et le Pagano-christianisme dont Paul est le porte-parole.
Ici cela est très clair, l’engagement ne reconnaît que les fidèles circoncis, alors que le soit disant arrangement, faisant suite au concile de Jérusalem, reconnaissait comme des Chrétiens respectables les non circoncis de Paul. La mise à l’épreuve et les précautions extrêmes prises pour éviter que les textes ne tombent dans des mains qui pourraient les révéler au monde, montrent combien l’Église judéo-chrétienne était terrorisée à l’hypothèse que ses documents soient lisibles par tous.
Chapitre 2
1 – « Qu’il répète ces mots : “ Que me soient témoins le ciel, la terre et l’eau, qui contiennent toutes choses, et en plus de tout cela, l’air qui pénètre partout, et sans lequel je ne puis respirer, que je resterai toujours soumis à celui qui me transmet les livres des prédications, et que les livres mêmes qu’il me transmet, je ne les communiquerai à personne d’aucune manière, ni en les recopiant, ni en en transmettant une copie, ni en les donnant à copier, ni par moi-même, ni par l’intermédiaire d’un autre, ni par un autre moyen, ruse ou artifice, ni en les conservant avec négligence, en les déposant, en laissant faire, ou de quelque autre façon que ce soit, ni en les communiquant à un autre de propos délibéré.
2 – Mais si, après épreuve, je reconnais que quelqu’un en est digne, comme moi-même je l’ai été jugé, voire après une plus longue épreuve, mais qui ne saurait durer moins de six années, alors, à cet homme pieux et bon, et qui se destine à l’enseignement, je les transmettrai comme moi-même je les ai reçus, et je le ferai sur l’avis de mon évêque.
Mon analyse :
La nuance entre prestation de serment et engagement sur ce qu’il y a de plus essentiel est pour le moins microscopique. On voit là les prémices des circonlocutions dont cette Église va devenir familière. On ne jure pas mais on s’engage aussi plus profondément que ne l’impose un serment ; on détient la vérité mais on la cache de peur qu’elle ne soit convaincue de mensonge.
Chapitre 3
1 – « “ Autrement, même s’il s’agit de mon enfant, de mon frère, d’un ami ou de toute autre personne qui se rattache à moi par un lien de parenté, si du moins elle en est indigne, je ne les lui communiquerai pas pour autant, parce que cela serait déplacé.
2 – Je ne me laisserai pas effrayer par des machinations ni séduire par des présents. Mais, même si un jour les ouvrages des prédications qui me sont confiés me paraissent mensongers, je ne les communiquerai pas pour autant, mais je les restituerai.
3 – En voyage, j’emmènerai avec moi ceux qui se trouvent en ma possession ; et si je ne veux pas les emporter avec moi, je ne les abandonnerai pas chez moi, mais je les confierai en dépôt à mon évêque, qui a la même foi que moi, et qui est inspiré par les mêmes principes.
4 – Pour le cas où je tomberais malade, et où l’on craindrait pour moi la mort, si je n’ai pas d’enfant, j’agirai de même. Mais même si je meurs en laissant un enfant qui ne serait pas digne de les recevoir ou qui ne le pourrait pas encore, j’agirai de même : je les laisserai en dépôt auprès de mon évêque, afin que, si l’enfant, devenu grand, se trouvait digne de notre confiance, il les lui restituât comme un dépôt paternel, selon les termes de l’engagement.
Mon analyse :
On voit ici se mettre en place une démarche de type sectaire. Les liens naturels sont rejetés au profit de la fidélité au principe et à l’évêque (gourou ?). Enseignement secret, isolement social, référence humaine unique, manipulation mentale ; voilà bien quatre des cinq critères de dérive sectaire reconnus par la Mission de lutte contre les dérives sectaires.
Chapitre 4
1 – « “ Que j’agirai ainsi j’en prends de nouveau à témoin, pour la seconde fois, le ciel, la terre et l’eau qui contiennent toutes choses, et en plus de tout cela, l’air qui pénètre partout, et sans lequel je ne puis respirer : je resterai toujours soumis à celui qui me transmet les livres des prédications, et je respecterai en tout point l’engagement que j’ai pris, voire un plus grand encore.
2 – Si donc je respecte le pacte, ma part sera avec les saints ; mais si je passe outre mon engagement, que j’aie pour ennemis l’univers entier, l’éther qui pénètre tout, et le Dieu qui est au-dessus de tout et qu’aucun être ne surpasse ni en puissance, ni en grandeur.
3 – Mais même si j’en viens à soupçonner l’existence d’un autre Dieu, je l’atteste lui aussi maintenant que je n’agirai pas autrement, que ce Dieu existe ou qu’il n’existe pas. Outre tout cela, si je mens, je serai anathème de mon vivant et après ma mort, et je subirai un châtiment éternel. ” Et après cette formule, qu’il partage le pain et le sel avec celui qui lui transmet les ouvrages.
Mon analyse :
Après les obligations, les punitions. La conviction est laissée au profit de la terreur. Et surtout, même si le fidèle désire changer d’Église, il est encore menacé par celle à laquelle il ne croit plus ! Ce point est clairement dirigé contre ceux qui voudraient rejoindre les communautés pauliniennes avec armes et bagages.
Chapitre 5
1 – Quand Jacques eut achevé son discours, les presbytres devinrent blêmes de peur ; aussi, voyant leur frayeur extrême, ajouta-t-il :
« Écoutez-moi, frères et compagnons dans le service de Dieu.
2 – Si nous procurons les livres à tous sans distinction, et qu’ils soient dénaturés par des hommes sans scrupules, ou interprétés de façon tendancieuse, comme vous avez entendu dire que certains l’ont déjà fait, il ne restera plus, à ceux qui recherchent réellement la vérité, qu’à errer perpétuellement.
3 – Aussi est-il préférable que ces livres restent dans nos mains, et qu’on les communique avec toutes les précautions que je viens d’énumérer à ceux qui veulent pour eux la vie, et pour les autres le salut. Et si quelqu’un, après s’être ainsi engagé, agit autrement, c’est à juste titre qu’il tombera sous le coup du châtiment éternel.
4 – Car pour quelle raison celui qui causerait la perte d’autrui, ne se perdrait-il pas lui-même ? »
Les presbytres accueillirent avec joie la réflexion de Jacques, et dirent : « Que soit béni celui qui, dans son universelle prescience, t’a établi justement comme notre évêque. »
À ces mots, nous nous levâmes et nous mîmes à prier le Père et Dieu de l’univers, à qui appartient la gloire pour les siècles. Amen.
Mon analyse :
Il est extraordinaire de lire les propos de jacques qui craint que les textes qu’il valide soient dénaturés, quand nous avons aujourd’hui la démonstration que ce sont les catholiques des quatre premiers siècles qui n’ont eu de cesse que de manipuler les écrits qui ne leur convenaient pas, voire de les détruire. Cela revient à avouer le manque total de confiance dans la qualité des textes produits au sein de sa communauté. Les Cathares n’étaient pas inquiets de mettre en n’importe quelle main leurs écrits. ils les savaient parfaitement argumentés et indiscutablement défendables face à toute critique. On comprend mieux aussi pourquoi les Catholiques interdisaient, jusqu’au vingtième siècle, la traduction de la Bible en langue populaire, quand les Cathares traduisaient le Nouveau Testament dès le Moyen Âge !