Interrogatio Johannis – Vienne – 4


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Interrogatio Johannis (ou la Cène secrète de Jean)

Ce texte est antérieur au Catharisme latin et ne constitue donc pas, à proprement parler, un texte cathare. C’est donc un apocryphe mais, comme il fut très utilisé par les Cathares, dits mitigés, de Bulgarie et d’Italie, il mérite d’être étudié ici.
Il semble qu’il était en possession de l’évêque patarin Nazaire. Son origine semble se perdre dans la nuit des temps chrétiens mais sa version latine date du XIIIe siècle. Il s’agit d’un faux évangile racontant une discussion entre Jean et Jésus au cours d’une Cène se déroulant dans les cieux et dont la version terrestre, racontée dans les évangiles, serait une représentation temporelle.
Le présent document est une traduction de René Nelli publié dans le recueil « Écritures cathares » publié par les éditions du Rocher dans une édition actualisée et augmentée par Anne Brenon en 1995. Pour respecter le droit des auteurs je ne vous livrerai ni la préface, ni les notices que vous trouverez dans le livre. J’espère qu’en ne publiant que la traduction je ne causerai aucun tort à personne et je permettrai à tous d’accéder à cet ouvrage essentiel à la compréhension de la doctrine cathare.

Version de Vienne – 4

  1. Et ensuite j’interrogeai le Seigneur sur le jour du Jugement : « Quel sera le signe de ta venue ? » Le Seigneur me fit cette réponse : « Ce sera quand le nombre des justes sera accompli selon le nombre des justes couronnés tombés (du ciel)[1]. Alors Satan, en proie à une grande colère, sera délivré de sa prison. Il fera la guerre aux Justes qui appelleront leur Seigneur Dieu d’une voix forte. Aussitôt le Seigneur ordonnera à l’archange de sonner de la trompette. La voix de l’archange sortira des cieux et se fera entendre jusqu’aux enfers. Alors le soleil[2] s’obscurcira, la lune ne donnera plus sa lumière, les étoiles tomberont des cieux et les quatre grands vents[3] seront libérés de leurs fondements : la terre tremblera et, en même temps, la mer, les montagnes et les collines. Alors sera révélé le signe du Fils, et toutes les tribus de la terre se lamenteront. Et aussitôt le ciel tremblera et s’obscurcira et le soleil (ne) luira (que) jusqu’à la neuvième heure[4]. Alors se manifestera le Fils de l’Homme dans sa gloire et, avec lui, tous les saints et tous les anges placeront leurs trônes sur les nuées. Et il s’assiéra sur le trône de sa gloire, avec les douze apôtres (assis) sur les douze trônes glorieux[5]. Les livres seront ouverts, et il jugera (d’après eux) toutes les nations de toute la terre ; et la vraie foi sera prêchée (sera rendue manifeste ?)[6]. Alors le Fils de l’Homme enverra ses anges : ceux-ci rassembleront ses élus depuis le sommet des cieux jusqu’à ses extrêmes limites et les conduiront vers lui — puisqu’ils lui appartiennent entièrement (?) — dans l’air et sur les nuées. Alors le Fils de Dieu enverra les mauvais démons… et il les chassera avec colère, eux et toutes les nations qui crurent en lui (Sathanas)[7]… Et aussitôt tous les peuples comparaîtront, pleins d’effroi, devant le tribunal de Dieu. Les deux livres seront ouverts et ils dévoileront (manifestabunt), par leurs paroles[8], la conduite de toutes les nations : ils glorifieront les Justes pour leurs souffrances accompagnées de leurs bonnes œuvres. La gloire et l’honneur impérissable appartiendront à ceux qui ont mené la vie angélique, mais ceux qui ont obéi à l’iniquité auront en partage la colère, la fureur, l’angoisse et l’indignation (indignationem). Le Fils de Dieu tirera alors ses Justes du milieu des pécheurs, en leur disant : “ Venez, vous qui êtes les bénis de mon Père, et recevez le royaume qui a été préparé pour vous depuis la constitution du monde ! ” Et aux pécheurs, il dira : “ Retirez-vous de moi, maudits, dans le feu éternel qui a été préparé pour le Diable et ses anges ! ” Et tous les autres verront alors (assisteront à) la dernière séparation ; et les pécheurs seront renvoyés aux enfers. Et avec la permission du Père, les esprits autrefois incrédules (increduli) sortiront de leur prison : ils entendront ma voix, et il n’y aura plus qu’un seul bercail et un seul pasteur. Et alors, avec la permission du Père, une ténébreuse géhenne de noirceur et de feu[9] sortira des profondeurs de la terre, qui consumera toutes choses depuis les plus basses parties de la terre jusqu’au firmament de l’air ; erit ignis affic… » (alors le feu sera…) — (le reste est perdu).

Mon analyse :
Comme dans la version de Carcassonne, la fin est de type apocalyptique et basée sur les références mondaines de l’époque. Pour les Cathares, la fin ne peut en aucune façon procéder d’une lutte armée entre Dieu et le diable.

[1] Souvenir de l’Apocalypse, VI, 11 : « Il leur fut dit qu’ils attendissent en
repos encore un peu de temps jusqu’à ce que le nombre des serviteurs de Dieu
et de leurs frères, qui devaient aussi bien qu’eux être mis à mort, fût rempli. »
Mais il faut chercher l’explication ésotérique de ces quelques lignes de la Cène secrète dans cet autre passage de l’Apocalypse : « Ils (les martyrs qui n’avaient pas reçu la marque de la Bête) reprirent vie, et régnèrent avec le Christ mille années. C’est la première résurrection. Les autres morts ne purent reprendre vie avant la fin des mille années. Heureux et saint celui qui participe à la première résurrection ! La seconde mort n’a point pouvoir sur eux, mais ils seront prêtres de Dieu et du Christ avec qui ils régneront mille années » (Apoc, XX, 4-6).
[2] Glose marginale. « Le soleil, c’est le Prince (de ce monde) et son trône ; la lune, c’est la loi de Moïse ; les étoiles, les esprits, ses ministres (du Prince de ce monde). Les apôtres, eux, n’auront pas de lieu où ils (puissent) régner. Mais le Christ, Fils de Dieu, qui est le soleil septuple régnera » (à la fin, avec eux).
[3] Glose marginale : « Ces quatre vents sont les rois qui persécuteront l’Église qu’il y aura alors et qui, par la guerre, tueront les autres hommes, sans pitié. »
[4] Version de Carcassonne : quatrième heure. Le texte de la Version de Vienne est conforme à Luc, XXIII, 44.
[5] « Les trônes de la Gloire de Dieu. »
[6] Ms. : tunc praedicabitur fides. Texte corrompu : Les livres jugeront les nations « selon la foi qu’on y aura prônée » (trad. Déodat Roche).
[7] Texte corrompu et illisible à partir d’ici : eos… ven… ret qui, etc. Restitution hypothétique : Les mauvais qui ont dit : « Mangeons et buvons et prenons notre part des biens qui sont ici » (les biens de ce monde), verront quel triste secours ils peuvent maintenant en attendre (?).
[8] Ou peut-être : « Dévoileront les nations et en même temps la foi — bonne ou mauvaise — qu’elles auront prêchée » (Cum praedicatione eorum).
[9] C’est le feu noir immanent à la matière qui, selon les mythes manichéens, doit finalement consumer le monde.

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