Évangile des Ébionites


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Évangile des Ébionites

Parmi les nombreux textes non reconnus dans le canon catholique figurent des évangiles. Certains furent un temps adoptés (canonisés) par certaines communautés chrétiennes avant d’être rejeté lors de l’établissement du canon définitif à la fin du 4e siècle de notre ère.
Les trois textes que nous allons étudier auraient été utilisés par les Cathares, notamment selon Jean Duvernoy, et les confusions dans les noms employés m’amènent à vous présenter les trois textes.
Je m’appuie pour les textes originaux sur l’édition de la Bibliothèque de la Pléiade aux éditions Gallimard : Écrits apocryphes chrétiens. Cet ouvrage publié en 1997, était sous la responsabilité de François Bovon et Pierre Géoltrain. Comme d’habitude les introductions, notices et notes ne sont pas reproduites afin de vous inciter à acquérir cet ouvrage et de ne pas nuire aux droits d’auteurs.

Étude des fragments

L’Évangile des ébionites n’est cité que dans l’ouvrage d’Épiphane de Salamine, publié à la fin du 4e siècle sous le titre de Panarion, littéralement : boîte à remèdes (sous entendu contre les hérésies), et transcris en latin en Adversus haeresis.

I. Épiphane (XXX, 13, 2-3)

Dans l’Évangile qu’ils reçoivent, selon Matthieu à ce qu’on dit, en réalité très loin d’être complet, et au contraire extrêmement corrompu et mutilé — ils l’appellent l’Évangile hébraïque —, il est rapporté ceci : Il y eut un homme du nom de Jésus — il avait environ trente ans — qui nous choisit. Il vint à Capharnaüm, entra dans la maison de Simon surnommé Pierre, ouvrit la bouche et dit : « En passant le long du lac de Tibériade, j’ai choisi Jean et Jacques, fils de Zébédée, Simon, André <…> Thaddhée, Simon le Zélote, Judas Iscariote ; et toi Matthieu, je t’ai appelé alors que tu étais assis au bureau des taxes et tu m’as suivi. Je veux ainsi que vous soyez douze apôtres pour témoigner auprès d’Israël.

Mon analyse :
Ce texte apparemment rédigé au nom des douze apôtres (qui nous choisit), relate une apparition de Jésus conforme à celle du troisième chapitre de l’Évangile selon Luc. Cela conforte Marcion qui y voyait la preuve que Jésus était une apparition d’homme de trente ans et le fait que les Cathares validaient cette révision de ce texte.

II. Épiphane (XXX, 13, 4-5)

Et encore : Voici que Jean Baptisait ; des pharisiens vinrent à lui se faire baptiser, ainsi que tout Jérusalem. Jean avait un vêtement de poil de chameau et une ceinture de cuir autour des reins ; il se nourrissait de miel sauvage — dont le goût est celui de la manne — comme un gâteau à l’huile. Cela j’imagine, pour transformer la parole de vérité en mensonge et faire avec des sauterelles un gâteau au miel.

Mon analyse :
Épiphane se moque de cette citation, conforme au texte original de Matthieu et Marc, qui cherche à donner de Jean une image de végétarien en jouant sur les assonances grecques des mots utilisés.

III. Épiphane (XXX, 13, 6)

Le début de l’Évangile qu’ils reçoivent est le suivant : Il arriva, au temps du roi Hérode, roi de Judée, sous le sacerdoce de Caïphe, que survint un homme du nom de Jean : il baptisait d’un baptême de conversion dans le fleuve du Jourdain ; on disait qu’il était de la race du prêtre Aaron, et fils de Zacharie et d’Élisabeth. Et tous venaient à lui.

Mon analyse :
Ce texte se retrouve dans Luc et dans Marc.

IV. Épiphane (XXX, 13, 7-8)

Et après beaucoup de choses, vient encore ceci : Le peuple ayant été baptisé, Jésus vint aussi se faire baptiser par Jean. Comme il remontait de l’eau, les cieux s’ouvrirent et il vit l’Esprit saint sous la forme d’une colombe qui descendait et entrait en lui. Une voix venant du ciel dit : « Tu es mon Fils bien-aimé, en toi je me suis complu. » Et à nouveau : « Je t’ai engendré aujourd’hui. » Aussitôt une grande lumière éclaira tout l’endroit. En la voyant, Jean lui dit : « Qui es-tu donc ? » et à nouveau une voix vint du ciel vers lui : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je me suis complu. » S’étant alors prosterné, Jean lui dit : « Je te prie, Seigneur, toi aussi, baptise-moi. » Mais Jésus l’empêcha en disant : « Laisse, car c’est ainsi qu’il convient que tout soit accompli. »

Mon analyse :
Ce passage montre que pour les ébionites, comme pour les Cathares, Jean ne sait pas à qui il a à faire. Cela explique que certain aient de lui une mauvaise opinion et que Jésus dise qu’il est le plus petit parmi ceux qui sont avec le Père.

V. Épiphane (XXX, 14, 5)

Ils nient encore que le Christ soit un homme à partir, je pense, de la parole que le Sauveur a dite quand on lui a annoncé : « Voici que ta mère et tes frères se tiennent dehors. » En effet : « Qui est ma mère et qui sont mes frères ? » Il tendit la main vers ses disciples et dit : « Mes frères, ma mère et mes sœurs, ce sont ceux qui font les volontés de mon Père. »

Mon analyse :
Là encore ce texte se retrouve dans Matthieu et Luc, ce qui peut accréditer la thèse de l’antériorité, mais surtout on relève la source de l’argumentation docète.

VI. Épiphane (XXX, 16, 4-5)

… le Christ est venu et a donné, comme leur prétendu Évangile le relate, cette directive : Je suis venu abolir les sacrifices, et si vous ne vous détournez pas du sacrifice, la Colère ne se détournera pas de vous.

Mon analyse :
Ce passage est extraordinaire. Que nous dit cet Évangile qu’Épiphane cite malgré l’aversion qu’il lui porte ? Christ est venu abolir les sacrifices. On comprend d’une part pourquoi il met le temple à sac et en vire les commerçants qui gagnent leur vie avec les sacrifices qu’impose le Judaïsme. Mais, d’autre part, cela revient à dire que jamais Christ n’a pu consentir à être lui-même l’objet d’un sacrifice, comme nous le serine la rhétorique judéo-chrétienne. Si Jésus meurt ce n’est pas en sacrifice pour effacer nos péchés mais, comme le montre le texte nazaréen pour faire s’effondrer les fondements du Judaïsme.

VII. Épiphane (XXX, 22, 4)

Ils ont pris sur eux de faire disparaître le sens véritable en changeant ce qui est écrit, comme tout le monde eut le constater à partir des mots qu’ils ont accolés. Ils ont ainsi fait dire aux disciples : « Où veux-tu que nous te fassions les préparatifs pour manger la Pâque ? », et répondre pas moins, au Seigneur : « Ce n’est pas que j’ai tellement désiré manger cette Pâque, de la viande, avec vous. »

Mon analyse :
Épiphane en est réduit à accuser les ébionites d’avoir falsifié le texte canonique, mais nous savons par les chercheurs qu’en général les falsifications se résument le plus souvent à des suppressions de textes et plus rarement à des ajouts dans le contexte. Quand des ajouts douteux sont faire il s’agit de textes incluent de grande taille. Là il est plus vraisemblable que nous soyons devant le texte initial, réduit ensuite par les Judéo-chrétiens dans les Évangiles canoniques. Cela pourrait aussi nous éclairer sur le végétalisme cathare.

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