Livre des deux principes
Le Liber de duobus principiis dont nous disposons est issu d’un seul manuscrit, datant de la fin du 13e siècle, trouvé dans le fonds des Conventi soppressi de la Bibliothèque nationale de Florence. Publié en 1939 par le Père Dondaine, il est considéré comme le seul traité théologico-philosophique cathare connu. Il s’agit de l’assemblage de différentes pièces issues d’un ouvrage dont Rainer Sacconi, polémiste catholique, dit qu’il comportait à l’origine « un gros volume de dix quaternions ». Il ne s’agit donc que d’une partie d’un résumé de l’ouvrage original.
Le présent document est une traduction de René Nelli publié dans le recueil « Écritures cathares » publié par les éditions du Rocher dans une édition actualisée et augmentée par Anne Brenon en 1995. Pour respecter le droit des auteurs je ne vous livrerai ni la préface, ni les notices que vous trouverez dans le livre. J’espère qu’en ne publiant que la traduction je ne causerai aucun tort à personne et je permettrai à tous d’accéder à cet ouvrage essentiel à la compréhension de la doctrine cathare.
Des persécutions – 1
De la persécution subie par le pasteur.
« Car il est écrit : je frapperai le pasteur, et les brebis du troupeau seront dispersées » (Matth., XXVI, 31 ex Zach., XIII, 7). Par le pasteur il faut entendre le Christ ; par les brebis du troupeau dispersées, les disciples. Ce n’est pas le vrai Seigneur Dieu qui par lui-même, proprement et directement, a frappé son Fils Jésus-Christ, car si par lui-même, proprement et essentiellement, il avait perpétré cet homicide, nul ne pourrait en aucune façon en accuser Pilate et les Pharisiens, lesquels n’auraient fait, en cela, qu’accomplir la volonté de Dieu, et eussent, au contraire, commis un péché en résistant à la volonté du Seigneur. Il faut résoudre ainsi cette difficulté : Dieu a frappé son Fils en permettant à ses ennemis de le faire mourir. Ce qu’ils n’auraient jamais pu faire si le Dieu bon lui-même ne leur avait concédé ce pouvoir. C’est ce que dit le Christ à Pilate : « Vous n’auriez aucun pouvoir sur moi, s’il ne vous avait été donné d’en-haut » (Jean, XIX, 11). Il dit : donné (cela : hoc) et non donnée (potestas, féminin), comme s’il voulait signifier par là : « Cela, c’est le mauvais principe, par l’effet duquel Pilate et les Pharisiens, Judas et les autres commettaient cet homicide. » Et le vrai Dieu permettait ce crime parce qu’il n’avait pas de meilleur moyen de délivrer son peuple de la puissance de l’ennemi. Il le dit par la bouche d’Isaïe : « Je l’ai frappé à cause des crimes de mon peuple » (Is., LIII, 8). C’est pourquoi les disciples furent dispersés, c’est-à-dire : se séparèrent du Christ, selon une volonté qui n’émanait pas du Bien, mais de la puissance des mauvais esprits, comme il est écrit plus loin : « Alors tous les disciples l’abandonnèrent et s’enfuirent » (Matth., XXVI, 56).
Mon analyse :
C’est un grand point de divergence entre les Judéo-chrétiens et les Cathares. Les premiers pensent que la mise à mort de Christ sur la croix était voulue par Dieu, et c’est ainsi qu’ils interprètent l’abandon de Jésus dans le jardin de Gethsémani : « que ta volonté soit faite. » (Math. 26, 42) Pour les Cathares il ne s’agit pas de la part de Dieu de faire mourir son fils, mais de ne pas s’opposer au Mal, ce qui obligerait à devenir le Mal, ce qui est impossible comme nous venons de le voir dans le chapitre précédent. Quand le Mal agit, Dieu n’est pas dans sa sphère d’influence, donc il n’agit pas. Et c’est une leçon difficile à entendre pour nous qui nous croyos compétents à la fois dans le mal et dans le bien. LA non-violence est de ne pas agir en mal, même si nous croyons que cela peut déboucher sur du bien, ce qui est toujours faux selon la règle des principes distincts et non modifiables.
De la persécution subie par les prophètes, le Christ, les apôtres et ceux qui les suivent.
Souvent, comme je parcourais et lisais les témoignages des divines Écritures, il m’a paru qu’on y trouvait maintes fois rapporté : que les prophètes, le Christ et les apôtres avaient souffert bien des maux, quand ils accomplissaient leurs œuvres de bonté pour procurer aux âmes le pardon et le salut ; maintes fois affirmé : que les fidèles du Christ, à la fin des temps, devront supporter beaucoup de scandales et de tribulations, de persécutions et de supplices, bien des souffrances et la mort même, de la part des pseudo-Christ, des faux prophètes, des méchants et des séducteurs ; maintes fois rappelé : comment ils doivent pardonner à ceux qui les persécutent et les calomnient, prier pour eux, leur faire du bien, ne jamais leur résister par la violence, comme on voit que font seulement les vrais chrétiens qui accomplissent les Saintes Écritures pour leur bien et pour leur honneur, tandis qu’au contraire les méchants et les pécheurs les accomplissent, à la vue de tous, pour leur malheur, et afin que leurs péchés remplissent toujours la mesure des péchés de leurs pères[1].
C’est pourquoi Paul dit dans la seconde épître à Tîmothée : « Or sachez que dans la suite il viendra des temps périlleux Car il y aura des hommes amateurs d’eux-mêmes, avares, fiers, superbes, médisants, désobéissants à leurs pères et à leurs mères, ingrats, impies, sans tendresse pour leurs proches, sans foi, calomniateurs, intempérants, inhumains, sans affection pour les gens de bien, traîtres, enflés d’orgueil, téméraires, ayant plus d’amour pour la volupté que pour Dieu ; qui auront les dehors de la piété, mais qui renonceront à ce qu’elle a de solide : fuyez encore ces personnes » (II Tim., III, 1-5). Et le Christ dit dans l’évangile de Matthieu : « Car il s’élèvera[2]… les élus mêmes » (Matth., XXII, 24, de surgent à electi). Et Paul, dans l’épître aux Romains : « Et comme ils n’ont pas voulu… sans miséricorde » (Rom., I, 28-31, de Et sicut à misericordia). Saint Pierre déclare dans l’Épître seconde : « Or il y a eu aussi de faux prophètes… n’est pas endormie » (II Petr., II, 1-3, de Fuerunt à dormitat). Et Paul, dans la seconde épître à Timothée : « Mais les hommes méchants… eux-mêmes séduits » (II Tim., III, 13, de Mali à errorem alios mittentes). Et dans les Actes des apôtres le même Paul dit encore : « Prenez donc garde… veillez, en vous souvenant » (Act., XX, 28-31, de Attendite à memoriam retinentes).
Mon analyse :
Dans ce monde où le Mal est maître, la seule chose que peut faire celui qui est du Bien est de fuir. Et si cela s’avère insuffisant pour le mettre hors d’atteinte de tous ceux qui lui veulent du mal, il ne peut que les aimer et leur vouloir du bien, non pas pour qu’ils cessent leurs actes mauvais, mais pour ne pas tomber sous l’influence du Mal.
De la persécution subie par les prophètes.
Sur les persécutions subies par les Prophètes, le Christ et les apôtres, on trouve mille témoignages dans les Saintes Écritures : Paul dit aux Hébreux, parlant de la persécution des prophètes : « Que dirai-je davantage ?… l’accomplissement de leur bonheur » (Hébr., XI, 32-40, de Quid adhuc dicam à consumarentur). Le Christ s’exprime ainsi dans l’évangile de saint Matthieu : « C’est ainsi qu’ils ont persécuté les prophètes qui ont été avant vous » (Matth., V, 12) ; et saint Étienne, dans les Actes des apôtres : « Têtes dures… et qui ne l’avez point gardée » (Act., VII, 51-53, de Dura cervice à custodistis). Et le Christ lui-même, dans l’évangile de Matthieu : « Malheur à vous… au nom du Seigneur » (Matth., XXIII, 29-39, de Vae vobis à in nomme Domini). Saint Jacques dit enfin dans son épître : « Prenez, mes frères, pour exemple… miséricorde » (Jac., V, 10-11, de Exemplum à miserator).
Mon analyse :
Là encore nous voyons la lecture erronée des Catholiques. Là où ils pensent que la souffrance endurée — le sacrifice — est un passeport pour le salut, nous savons que du mal ne peut venir aucun bien. Mais notre seul espoir vient de Christ quand il expliqua aux apôtres que de tous les maux dont nous aurions à souffrir avant de pouvoir quitter ce monde, il nous protégerait de presque tous et que le dernier, il nous le rendrait supportable afin que nous ayons la force de l’endurer sereinement.
[1] Cf. Matth., XXIII, 32.
[2] À partir de ce mot, nous donnons seulement la référence des textes scripturaires cités.