Abrégé pour servir à l’instruction des ignorants – 7


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Livre des deux principes

Le Liber de duobus principiis dont nous disposons est issu d’un seul manuscrit, datant de la fin du 13e siècle, trouvé dans le fonds des Conventi soppressi de la Bibliothèque nationale de Florence. Publié en 1939 par le Père Dondaine, il est considéré comme le seul traité théologico-philosophique cathare connu. Il s’agit de l’assemblage de différentes pièces issues d’un ouvrage dont Rainer Sacconi, polémiste catholique, dit qu’il comportait à l’origine « un gros volume de dix quaternions ». Il ne s’agit donc que d’une partie d’un résumé de l’ouvrage original.

Le présent document est une traduction de René Nelli publié dans le recueil « Écritures cathares » publié par les éditions du Rocher dans une édition actualisée et augmentée par Anne Brenon en 1995. Pour respecter le droit des auteurs je ne vous livrerai ni la préface, ni les notices que vous trouverez dans le livre. J’espère qu’en ne publiant que la traduction je ne causerai aucun tort à personne et je permettrai à tous d’accéder à cet ouvrage essentiel à la compréhension de la doctrine cathare.

Abrégé pour servir à l’instruction des ignorants – 7

Que le mauvais dieu n’a point fait ce qu’il avait promis.

Ce Seigneur et créateur a promis lui-même à Abraham, et a juré à sa descendance, qu’il lui donnerait, et qu’il donnerait à la postérité qui viendrait après lui, toute la terre qu’il voyait vers l’Aquilon et vers le midi, vers l’orient et vers l’occident, comme on peut le lire dans la Genèse : « Le Seigneur dit donc à Abraham, après que Loth se fut séparé d’avec lui : Levez vos yeux, et regardez du lieu où vous êtes, au septentrion et au midi, à l’orient et à l’occident. Je vous donnerai, et à votre postérité, pour jamais, tout ce pays que vous voyez » (Gen., XIII, 14-15) ; et au verset 17 : « Parcourez présentement toute l’étendue de cette terre dans sa longueur et dans sa largeur, parce que je vous la donnerai » (Gen., XIII, 17). Il est écrit dans le Deutéronome : « Entrez… et possédez cette terre que le Seigneur avait promis avec serment de donner à vos pères, Abraham, Isaac et Jacob, et à leur postérité après eux » (Deut, I,8).

Mais quoique le Seigneur ait fait lui-même cette promesse, avec serment, à Abraham, il faut croire, cependant, qu’elle n’a jamais été tenue le moins du monde, sur le plan temporel. Comme le dit saint Étienne dans les Actes des apôtres : « Quittez, dit le Seigneur à Abraham, votre pays et votre parenté, et venez dans le pays que je vous montrerai. Alors il sortit du pays des Chaldéens, et alla demeurer à Charan : de là, après la mort de son père. Dieu le fit passer en ce pays-ci que vous habitez aujourd’hui, où il ne lui donna point d’héritage, non pas même où asseoir le pied ; mais il promit de lui en donner la possession et à sa postérité » (Act., VII, 3-5). On voit clairement par là que ce Seigneur et créateur n’a pas tenu alors sa promesse faite avec serment, et même qu’il ne l’a jamais accomplie par la suite — à en croire nos adversaires eux-mêmes — en ce monde temporel et visible, car on ne trouve nulle part que jamais Abraham ait possédé cette terre temporellement, quoi que balbutient les ignorants.

Mon analyse :
Plutôt qu’un compte d’apothicaire, je vois dans cette remarque sur la parole du démiurge, la volonté d’indiquer son impuissance face à la toute-puissance divine. Jean le dit aussi en VIII-44 : « Quand il ment il tire de son fond ce qu’il dit parce qu’il est menteur et père du mensonge. »

Que ce dieu a été vu dans le monde temporel.

Il paraît encore — et c’est la croyance des gens peu instruits — que ce même dieu créateur a été vu face à face par plusieurs personnes, en ce monde, avec les yeux de la chair (visibiliter). On le lit dans la Genèse : « Jacob donna le nom de Phanuel à ce lieu-là, en disant : J’ai vu Dieu face à face » (Gen., XXXII, 30). Et il est écrit dans L’Exode : « Moïse, Aaron, Nadab, Abiu, et les soixante et dix anciens d’Israël étant montés, ils virent le Dieu d’Israël » (Exode, XXIV, 9-10) ; et plus loin, au verset 11 : « Or le Seigneur parlait à Moïse face à face, comme un homme accoutumé de parler à son ami » (Exode, XXXIII, 11). Et le Seigneur dit lui-même au livre des Nombres : « Mais il n’en est pas ainsi de mon serviteur Moïse, qui est mon serviteur très fidèle dans toute ma maison ; car je parle à lui bouche à bouche, et il voit le Seigneur clairement, et non sous des énigmes et sous des figures » (Num., XII, 7-8). Mais notre vrai Créateur n’a jamais été vu par personne avec les yeux du corps : saint Jean l’affirme dans l’Évangile : « Nul n’a jamais vu Dieu ; c’est le Fils unique qui est dans le sein du Père qui l’a fait connaître » (Jean, I, 18). L’Apôtre le dit aussi dans la seconde[1] épître à Timothée : « Au roi des siècles, immortel, invisible, à Punique Dieu, soit honneur et gloire » (I Tim., I, 17) ; et dans l’épître aux Colossiens, où il déclare, en parlant du Christ, qu’il est « l’image du Dieu invisible » (Col., l, 15).
Que les gens instruits lisent donc (les Écritures) et, sans aucun doute, ils se convaincront qu’il existe un dieu mauvais — seigneur et créateur — qui est la source et la cause de tous les maux dont nous avons parlé. Sans quoi : il leur faudrait nécessairement confesser que c’est le vrai Dieu lui-même — celui qui est la lumière, qui est bon et saint ; celui qui est la fontaine vive et l’origine de toute douceur, de toute suavité et de toute justice — qui serait la cause et le principe de toute iniquité et de toute malice, de toute amertume et de toute injustice ; et que tout ce qui est opposé à ce Dieu, comme étant son contraire, procéderait, en réalité, de lui seul : ce qu’aucun sage n’aura jamais la sottise de soutenir.

Mon analyse :
Je trouve cet argument final très fort. En effet, nul ne voit Dieu et nul ne le connaît en ce monde malin, car il n’y est pas chez lui. Alors que le démiurge, maître de ce monde, se donne à voir pour mieux soumettre ses victimes. On retrouve cette idée dans les évangiles. En effet, qui reconnaît Jésus ? Uniquement des démons ! C’est parce qu’il leur a échappé lors de sa venue grâce à la kénose, qu’ils ne le découvrent qu’une fois à l’œuvre.

[1] En réalité : la première.

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