Abrégé pour servir à l’instruction des ignorants – 5


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Livre des deux principes

Le Liber de duobus principiis dont nous disposons est issu d’un seul manuscrit, datant de la fin du 13e siècle, trouvé dans le fonds des Conventi soppressi de la Bibliothèque nationale de Florence. Publié en 1939 par le Père Dondaine, il est considéré comme le seul traité théologico-philosophique cathare connu. Il s’agit de l’assemblage de différentes pièces issues d’un ouvrage dont Rainer Sacconi, polémiste catholique, dit qu’il comportait à l’origine « un gros volume de dix quaternions ». Il ne s’agit donc que d’une partie d’un résumé de l’ouvrage original.
Le présent document est une traduction de René Nelli publié dans le recueil « Écritures cathares » publié par les éditions du Rocher dans une édition actualisée et augmentée par Anne Brenon en 1995. Pour respecter le droit des auteurs je ne vous livrerai ni la préface, ni les notices que vous trouverez dans le livre. J’espère qu’en ne publiant que la traduction je ne causerai aucun tort à personne et je permettrai à tous d’accéder à cet ouvrage essentiel à la compréhension de la doctrine cathare.

Abrégé pour servir à l’instruction des ignorants – 5

Que le mauvais dieu a commis fornication.

Ce Seigneur et Créateur a ordonné dans le Deutéronome : « Si un homme dort avec la femme d’un autre, l’un et l’autre mourront, l’homme adultère et la femme adultère ; et vous ôterez le mal du milieu d’Israël » (Deut., XXII, 22). Et encore dans le Deutéronome : « Un homme n’épousera point la femme de son père, et il ne découvrira point ce que la pudeur doit cacher » (Deut., XXII, 30). Ce Seigneur dit lui-même dans le Lévitique : « Vous ne découvrirez point dans la femme de votre père ce qui doit être caché, parce que vous blesseriez le respect dû à votre père » (Lév., XVIII, 8). Et aussi : « Si un homme abuse de sa belle-mère, et s’il viole à son égard le respect qu’il aurait dû à son père, qu’ils soient tous deux punis de mort » (Lév., XX, 11).
Or, en violation de ses propres préceptes, ce Seigneur et Créateur a ordonné, en ce monde temporel et de façon patente, de commettre l’adultère, charnellement et réellement ; et cela selon la croyance même et l’interprétation de nos adversaires ; au second livre des Rois nous trouvons, très clairement exprimé, ce qui suit — et nous le comprenons comme eux : le Seigneur lui-même, et créateur, dit, en effet, à David par la bouche du prophète Nathan : « Pourquoi donc avez-vous méprisé ma parole, en commettant un tel crime devant mes yeux ? Vous avez fait perdre la vie à Urie Héthéen, vous lui avez ôté sa femme, et l’avez prise pour vous ; et vous l’avez tué par l’épée des enfants d’Ammon. C’est pourquoi l’épée ne sortira jamais de votre maison, parce que vous m’avez méprisé, et que vous avez pris pour vous la femme d’Urie Héthéen. Voici donc ce que dit le Seigneur : Je vais vous susciter des maux qui naîtront de votre propre maison. Je prendrai vos femmes à vos yeux ; je les donnerai à celui qui vous est le plus proche, et il dormira avec elles aux yeux de ce soleil que vous voyez. Car pour vous, vous avez fait cette action en secret ; mais pour moi je la ferai à la vue de tout Israël » (II Reg., XII, 9-12). D’où l’on doit conclure que, selon la foi de nos adversaires mêmes, ou bien ce dieu, et créateur, a été menteur ou bien il a, sans aucun doute, et réellement, perpétré l’adultère, comme on voit qu’il le fait ouvertement au second livre des Rois, de l’aveu même de nos adversaires : « Achitophel dit à Absalon : Voyez les concubines de votre père, qu’il a laissées pour garder son palais, afin que, lorsque tout Israël saura que vous avez déshonoré votre père, ils s’attachent plus fortement à votre parti. On fit donc dresser une tente pour Absalon sur la terrasse du palais du roi ; et il y entra avec les concubines de son père devant tout Israël » (II Reg., XVI, 21- 22). C’est ainsi que ce Seigneur et Créateur a accompli cette œuvre d’adultère (qu’il avait dit qu’il accomplirait), réellement et visiblement, en ce monde-ci (toujours selon l’interprétation de nos adversaires), et surtout en violation du précepte qu’il avait donné lui-même — et que nous avons rappelé plus haut — : « Si un homme dort avec la femme d’un autre, etc. ».
Aucune personne sensée ne voudra croire que c’est le vrai Créateur qui a donné ainsi — réellement — les femmes d’un homme à son fils — ou à tout autre — pour perpétrer avec elles la fornication, comme l’a fait le créateur des choses visibles de ce monde, selon ce que soutiennent les ignorants, et comme nous l’avons fait voir précédemment. Rappelons que Nôtre-Seigneur, ce vrai Dieu, n’a jamais ordonné de commettre en ce monde, et de façon effective, l’adultère et la fornication» L’Apôtre dit, en effet, dans la première épître aux Corinthiens : « Ne vous y trompez pas : ni les fornicateurs… ni les adultères ne seront héritiers du royaume de Dieu » (I Cor., VI, 9-10). Le même apôtre dit aux Éphésiens : « En effet, soyez bien persuadés que nul fornicateur, nul impudique… ne sera héritier du royaume du Christ et de Dieu » (Eph., V, 5). Et il dit encore aux Thessaloniciens : « En effet la volonté de Dieu est que vous soyez saints ; que vous vous absteniez de la fornication » (Thés., rv, 3). Ce n’est certes pas notre vrai créateur qui, dans le monde temporel, en ce monde-ci, a pris les femmes de David et les a données à celui qui lui était le plus proche, pour qu’il fît l’adultère avec elles, à la vue de tout Israël et à la face du soleil, comme on l’a vu dans le texte précité. Il faut donc, sans nul doute, qu’il existe un autre créateur, cause et principe de toute fornication et de tout adultère en ce monde-ci : nous l’avons déjà démontré et nous le démontrerons mieux encore par la suite, avec l’aide de Dieu.

Mon analyse :
Le démiurge se démarque encore du Dieu de Christ par ses comportements violents, inconstants, contradicteurs et basés sur les passions humaines.

Que le mauvais dieu a ordonné de ravir par la force le bien d’autrui et de commettre l’homicide.

Que le susdit Seigneur et créateur a fait enlever par la force le bien d’autrui et dérober réellement — et pour son avantage — les trésors des Égyptiens ; qu’il a fait perpétrer, dans ce monde matériel, le plus grand des homicides, nous sommes en mesure de le montrer, en toute évidence, par les Écritures anciennes interprétées selon la foi de nos contradicteurs. Le Seigneur lui-même dit à Moïse dans l’Exode : « Vous direz donc à tout le peuple : que chaque homme demande à son ami, et chaque femme à sa voisine, des vases d’argent et d’or ; et le Seigneur fera trouver grâce à son peuple devant les Égyptiens » (Exode, XI, 2). Il dit ensuite : « Les enfants d’Israël firent ce que Moïse leur avait ordonné, et ils demandèrent aux Égyptiens des vases d’argent et d’or, et beaucoup d’habits. Et le Seigneur rendit favorables à son peuple les Égyptiens, afin qu’ils leur prêtassent ce qu’ils demandaient, et ils dépouillèrent ainsi les Égyptiens » (Exode, XII, 35-36). Dans le Deutéronome, Moïse dit à son peuple : « Quand vous vous approcherez pour assiéger une ville, vous lui offrirez la paix d’abord. Si elle l’accepte et qu’elle vous ouvre ses portes, tout le peuple qui s’y trouvera sera sauvé, et il vous sera assujetti en vous payant le tribut. Que si elle ne veut point recevoir les conditions de paix, et qu’elle commence à vous déclarer la guerre, vous l’assiégerez. Et lorsque le Seigneur votre Dieu vous l’aura livrée entre les mains, vous ferez passer tous les mâles au fil de l’épée, en réservant les femmes, les enfants, les bêtes, et tout le reste de ce qui se trouvera dans la ville. Vous partagerez le butin à toute l’armée, et vous vous nourrirez des dépouilles de vos ennemis, que le Seigneur votre Dieu vous aura données. C’est ainsi que vous en userez à l’égard de toutes les villes qui seront fort éloignées de vous, et qui ne sont pas de celles que vous devez recevoir pour être votre héritage. Mais quant à ces villes qu’on vous doit donner pour vous, vous ne laisserez la vie à aucun de leurs habitants ; mais vous les ferez tous passer au fil de l’épée, c’est-à-dire les Héthéens, les Amorrhéens, les Chananéens, les Phérézéens, les Hévéens et les Jébuséens, comme le Seigneur votre Dieu vous l’a commandé » (Deut, XX, 10-17). On lit encore dans le Deutéronome : « Séhon marcha donc au-devant de nous avec tout son peuple pour nous donner bataille à Jasa ; et le Seigneur notre Dieu le livra entre nos mains, et nous le défîmes avec ses enfants et tout son peuple. Nous prîmes en même temps toutes ses villes, nous en tuâmes tous les habitants, hommes, femmes et petits enfants, et nous n’y laissâmes rien du tout » (Deut., II, 32-34). Et ceci encore : « Le Seigneur notre Dieu livra donc aussi entre nos mains Og, roi de Basan, et tout son peuple ; nous les tuâmes tous sans excepter aucun, et nous ravageâmes toutes leurs villes en un même temps. Il n’y eut point de ville qui pût échapper à nos mains ; nous prîmes soixante villes, tout le pays d’Argob, qui était le royaume d’Og, en Basan, etc. Nous exterminâmes ces peuples comme nous avions fait Séhon, roi d’Hesebon, en ruinant toutes leurs villes, en tuant les hommes, les femmes et les petits enfants[1] ; et nous prîmes leurs troupeaux, avec les dépouilles de leurs villes » (Deut., III, 3-4 ; 6-7).
À propos de l’homme qui ramassait du bois le jour du sabbat, on lit au livre des Nombres : « Or les enfants d’Israël étant dans le désert, il arriva qu’ils trouvèrent un homme qui ramassait du bois le jour du sabbat ; et l’ayant présenté à Moïse, à Aaron et à tout le peuple, ils le firent mettre en prison, ne sachant ce qu’ils en devaient faire. Alors le Seigneur dit à Moïse : Que cet homme soit puni de mort, et que tout le peuple le lapide hors du camp » (Num., XV, 32-35). Le même Seigneur dit au peuple Israélite, dans l’Exode : « Je remplirai le nombre de vos jours. Je ferai marcher devant vous la terreur de mon nom ; j’exterminerai tous les peuples au pays desquels vous entrerez, et je ferai fuir tous vos ennemis devant vous » (Exode, XXIII, 26-27). Et il s’exprime ainsi dans le Lévitique : « Vous poursuivrez vos ennemis, et ils tomberont en foule devant vous. Cinq d’entre nous en poursuivront cent, et cent d’entre vous en poursuivront dix mille ; vos ennemis tomberont sous l’épée devant vos yeux » (Lév., XXVI, 7-8) ; et encore ainsi au livre des Nombres : « Que si vous ne voulez pas tuer tous les habitants du pays, ceux qui en seront restés vous deviendront comme des clous dans les yeux et comme des lances aux côtes, et ils vous combattront dans le pays où vous devez habiter ; et je vous ferai à vous-mêmes tout le mal que j’avais résolu de leur faire » (Num., XXIII, 55-56).

Mon analyse :
Cette fois Jean de Lugio ne se trompe pas quand il met en lumière le comportement du dieu de Moïse. Ce dernier est bel et bien meurtrier et infanticide. Il incite à la violence, au meurtre et au vol sans condamner ces pratiques alors qu’il fait condamner à mort un pauvre homme pris en train de ramasser du bois mort un jour de sabbat. Pire encore, pour forcer les hommes à commettre ces horreurs il les menace de se retourner contre eux s’ils ne le font pas. C’est bel et bien le démiurge, le suppôt du Mal qui agit ainsi et Iahvé ne peut donc pas être Dieu.

[1] Pendant la Croisade contre les Albigeois, les catholiques romains auraient pu s’autoriser de ces passages de la Bible, pour mettre à sac villes et châteaux et en exterminer les habitants, comme ils l’ont fait d’ailleurs maintes fois. La morale cathare, au contraire, condamnait formellement les guerres et les massacres auxquels elles donnent lieu. Quoi qu’on en ait dit, le catharisme représentait alors un incontestable progrès moral. Et le refus même d’attribuer à un Dieu Bon les horreurs rapportées par la Bible donne la mesure de la « mutation » qui s’opérait alors dans la conscience morale des meilleurs.

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