
Sur la nature et sur l’étant
Parménide
Introduction
Malheureusement nous disposons de presque rien de cet auteur qui semble avoir fortement impressionné son temps, ou plutôt le siècle qui suivit sa mort.
Heureusement nous avons retrouvé 150 vers d’un poème qu’il écrivit et sa lecture renforce notre déception de n’avoir rien de plus de sa main tant ce court document est riche d’éléments qui vont se révéler essentiels dans la philosophie grecque.
Il est né en Italie du Sud, à Elée. Il est rattaché à l’école philosophique des Éléates dont son fils adoptif et disciple, Zénon d’Élée, est considéré comme le chef de file. Il aurait eu une influence importante sur Platon, même si ce dernier ne partage pas son analyse concernant l’inexistence du non-être (cf Parménide de Platon). Il aurait été l’élève de Xenophane ou d’Anaxagore.
Version grecque issue du site : http://remacle.org
Traduction et analyse issues du site : http://dutempspoursoi.free.fr/
À l’attention des spécialistes du grec ancien, je tiens à signaler de possibles décalages entre l’original et la traduction. En outre les paragraphes ne sont pas dans l’ordre numérique des fragments retrouvés mais suivent les indications des chercheurs allemands sur le sujet.
Je conseille également la lecture des pages qui lui sont consacrées dans Les présocratiques de l’édition Gallimard La Pléiade.
Chapitre premierLes cavales qui m’emportent au gré de mes désirs, Chapitre cinqII m’est indifférent de commencer Chapitre deuxAllons, je vais te dire et tu vas entendre Chapitre troiscar le pensé et l’être sont une même chose Chapitre sixII faut penser et dire que ce qui est est ; car il y a être : Chapitre septJamais tu ne feras que ce qui n’est pas soit ; Chapitre huitII n’est plus qu’une voie pour le discours, |
[35] car, en dehors de l’être, en quoi il est énoncé, [40]naître et périr, être et ne pas être, Chapitre quatreRegarde par la pensée les choses qui ne sont pourtant pas là, comme étant là fermement ; Chapitre neufMais puisque tout a été nommé lumière ou nuit, Chapitre douzeLes plus étroites (couronnes) sont remplies de feu sans mélange ; Chapitre onzeComment la Terre, le Soleil et la Lune, Chapitre dixTu sauras la nature de l’éther, et dans l’éther Chapitre quatorzeBrillant pendant la nuit, elle roule autour de la Terre sa lueur étrangère Chapitre quinzeRegardant toujours vers la splendeur du Soleil. Chapitre quinze aEnracinée dans l’eau Chapitre treizeElle a conçu l’Amour, le premier de tous les dieux. Chapitre dix-septDans les parties droites, les garçons ; à gauche les filles Chapitre dix-huitQuand ensemble la femme et l’homme mélangent les semences de Vénus, Chapitre seizeTel est, soit d’une façon, soit de l’autre, le mélange qui forme le corps et les membres, |
Chapitre premierἽπποι ταί με φέρουσιν, ὅσον τ’ ἐπὶ θυμὸς ἱκάνοι, Chapitre cinqΞυνὸν δὲ μοί ἐστιν Chapitre deuxΕἰ δ’ ἄγ’ ἐγὼν ἐρέω, κόμισαι δὲ σὺ μῦθον ἀκούσας, Chapitre trois… Τὸ γὰρ αὐτὸ νοεῖν ἐστίν τε καὶ εἶναι. Chapitre sixΧρὴ τὸ λέγειν τε νοεῖν τ’ ἐὸν ἔμμεναι· ἔστι γὰρ εἶναι, Chapitre septΟὐ γὰρ μήποτε τοῦτο δαμῇ εἶναι μὴ ἐόντα· Chapitre huitΜοῦνος δ’ ἔτι μῦθος ὁδοῖο |
[30] χοὔτως ἔμπεδον αὖθι μένει· κρατερὴ γὰρ ἀνάγκη πείρατος ἐν δεσμοῖσιν ἔχει, τό μιν ἀμφὶς ἐέργει. Οὕνεκεν οὐκ ἀτελεύτητον τὸ ἐὸν θέμις εἶναι· ἔστι γὰρ οὐκ ἐπιδεές, [μὴ] ἐὸν δ’ ἂν παντὸς ἐδεῖτο. Ταὐτὸν δ’ ἐστὶ νοεῖν τε καὶ οὕνεκεν ἔστι νόημα. [35] Οὐ γὰρ ἄνευ τοῦ ἐόντος, ἐν ᾧ πεφατισμένον ἐστιν, εὑρήσεις τὸ νοεῖν· οὐδὲν γὰρ <ἢ> ἔστιν ἢ ἔσται ἄλλο πάρεξ τοῦ ἐόντος, ἐπεὶ τό γε μοῖρ’ ἐπέδησεν οὖλον ἀκίνητόν τ’ ἔμεναι· τῷ πάντ’ ὄνομ’ ἔσται, ὅσσα βροτοὶ κατέθεντο πεποιθότες εἶναι ἀληθῆ, [40] γίγνεσθαί τε καὶ ὄλλυσθαι, εἶναί τε καὶ οὐχί, καὶ τόπον ἀλλάσσειν διά τε χρόα φανὸν ἀμείβειν. Αὐτὰρ ἐπεὶ πεῖρας πύματον, τετελεσμένον ἐστί, πάντοθεν εὐκύκλου σφαίρης ἐναλίγκιον ὄγκῳ, μεσσόθεν ἰσοπαλὲς πάντῃ· τὸ γὰρ οὔτε τι μεῖζον [45] οὔτε τι βαιότερον πελέναι χρεόν ἐστι τῇ ἢ τῇ. Οὔτε γὰρ οὐκ ἐὸν ἔστι, τό κεν παύοι μιν ἱκνεῖσθαι εἰς ὁμόν, οὔτ’ ἐὸν ἔστιν ὅπως εἴη κεν ἐόντος τῇ μᾶλλον τῇ δ’ ἧσσον, ἐπεὶ πᾶν ἐστιν ἄσυλον· οἷ γὰρ πάντοθεν ἶσον, ὁμῶς ἐν πείρασι κύρει. [50] Ἐν τῷ σοι παύω πιστὸν λόγον ἠδὲ νόημα ἀμφὶς ἀληθείης· δόξας δ’ ἀπὸ τοῦδε βροτείας μάνθανε κόσμον ἐμῶν ἐπέων ἀπατηλὸν ἀκούων. Μορφὰς γὰρ κατέθεντο δύο γνώμας ὀνομάζειν· τῶν μίαν οὐ χρεών ἐστιν (ἐν ᾧ πεπλανημένοι εἰσίν). [55] ἀντία δ’ ἐκρίναντο δέμας καὶ σήματ’ ἔθεντο χωρὶς ἀπ’ ἀλλήλων, τῇ μὲν φλογὸς αἰθέριον πῦρ, ἤπιον ὄν, μέγ'[ἀραιὸν] ἐλαφρόν, ἑωυτῷ πάντοσε τωὐτόν, τῷ δ’ ἑτέρῳ μὴ τωὐτόν· ἀτὰρ κἀκεῖνο κατ’ αὐτό τἀντία νύκτ’ ἀδαῆ, πυκινὸν δέμας ἐμϐριθές τε. [60] Τόν σοι ἐγὼ διάκοσμον ἐοικότα πάντα φατίζω, ὡς οὐ μή ποτέ τίς σε βροτῶν γνώμη παρελάσσῃ. Chapitre quatreΛεῦσσε δ’ ὅμως ἀπεόντα νόῳ παρεόντα βεϐαίως· Chapitre neufΑὐτὰρ ἐπειδὴ πάντα φάος καὶ νὺξ ὀνόμασται Chapitre douzeΑἱ γὰρ στεινότεραι πλῆντο πυρὸς ἀκρήτοιο, Chapitre onze… Πῶς γαῖα καὶ ἥλιος ἠδὲ σελήνη Chapitre dixΕἴσῃ δ’ αἰθερίαν τε φύσιν τά τ’ ἐν αἰθέρι πάντα Chapitre quatorzeΝυκτιφαὲς περὶ γαῖαν ἀλώμενον ἀλλότριον φῶς Chapitre quinzeΑἰεὶ παπταίνουσα πρὸς αὐγὰς ἠελίοιο. Chapitre quinze aὑδατόριζον εἶπειν τὴν γῆν Chapitre treizeΠρώτιστον μὲν Ἔρωτα θεῶν μητίσατο πάντων. Chapitre dix-septΔεξιτεροῖσιν μὲν κούρους, λαιοῖσι δὲ κούρας Chapitre dix-huitfemina virque simul Veneris cum germina miscent Chapitre seizeὩς γὰρ ἕκαστος ἔχει κρᾶσιν μελέων πολυπλάγκτων, |
Commentaire
Pour Parménide la vérité ne craint rien, ne veut rien alors que l’opinion craint et veut, alors il faut apprendre la vérité mais aussi l’opinion même si elle est chargée d’erreurs. Chez Parménide, il faut tout savoir car connaître, c’est tout savoir de la vérité et des erreurs.
Parménide pose deux postulats :
– l’être est et il est impossible qu’il ne soit pas
– le non-être n’est pas et il est nécessaire qu’il ne soit pas
C’est le premier à aborder l’être sur le plan ontologique, c’est à dire l’étant (le discours sur l’être, les caractères qu’on lui attribue). L’être est opposé au non-être, l’être produit et le non-être ne produit pas ; il étudie ce qui les distingue mais ne leur reconnaît aucun lien.
L’être est intelligible, mais s’il est impossible de le connaître par les sens ; il est uniquement accessible par la connaissance intellectuelle. Les sens procurent des sensations qui doivent être considérées avec une grande méfiance. L’être est concret parce qu’il existe de lui-même. Le concret et l’abstrait (être et non-être) s’opposent :
– Le concret est tout ce qui existe indépendamment
– L’abstrait est ce qui a besoin de quelque chose d’autre pour exister
L’être n’a pas de devenir, sa nature éternelle est contraire au processus de changement. De plus, la nature même de ces caractéristiques que sont : homogénéité, total, plein, continu, un, unique, ne manquant de rien, sans discontinuité, ne permettrait qu’un changement en non-être et le non-être n’étant pas, l’être ne peut pas avoir de devenir. Il est donc indubitablement éternel. Le devenir oblige à ce que le passé périsse pour qu’un présent vive ; les qualités de l’être font qu’il n’a rien à ajouter, ni retrancher, ni modifier, donc rien ne peut périr dans l’être sinon il deviendrait non-être et ne pourrait plus être.
Pour qu’il existe un devenir, il faut qu’il y ait manifestation, il faut donc que le non-être se manifeste mais comme le non-être n’est pas , il ne peut y avoir de devenir que l’éternité de l’être ; comme le devenir de l’être est l’éternité, le raisonnement n’est pas valide. Comme l’être ne peut s’anéantir, aucun devenir ne peut advenir pour l’être.
L’être a toujours été car s’il n’avait pas été, il aurait été non-être avant d’être ; or le non-être n’engendre pas. L’être a donc toujours existé, il n’a pas été engendré, il ne peut donc pas être détruit (éternel). Puisqu’il n’est pas né, il ne se développe pas ; s’il ne se développe pas, il est immobile.
Il n’y a pas de mouvement ou de cause à la naissance de l’être, sinon quelle nécessité aurait pu le pousser à être, à passer de rien à quelque chose. S’il avait du non-être (rien) il n’aurait pas de cause non plus, donc l’être ne pourrait pas apparaître. C’est donc qu’il n’a jamais été engendré.
L’être ne peut pas être multiple puisqu’une de ses caractéristiques est d’être sans discontinuité ; la discontinuité laisse de l’espace au non-être qui n’est pas et qui ne peut créer la multiplicité. Être différent pour l’être, c’est être non-être. Or le non-être n’est pas, donc l’être n’est pas multiple. Le multiple est l’ensemble des choses qui sont différentes les unes des autres ; l’être est un, il ne peut donc pas y avoir de différence.
L’être ne manque de rien et n’a rien en plus, car cela impliquerait qu’il y a autre chose que être donc le non-être, or l’existence du non-être est impossible. Si l’être pouvait avoir quelque chose en plus, il ne serait pas parfait.
La nature de la pensée reflète la nature de l’être, penser et être sont les mêmes choses, or l’être ne manque de rien, ne veut rien, n’a besoin de rien, il ne pense donc qu’à lui-même, car l’être ne peut penser qu’à lui-même (l’être), sinon il penserait au non-être.
Seule la raison peut comprendre l’être, le monde sensoriel est voué à la multiplicité, au mouvement, donc les sens ne pourront jamais appréhender l’être. Pour les sens, tout ce qui est ceci, n’est pas cela, donc cela est néant et le néant ne peut pas être ; de plus tout ce qui n’est pas égal (l’objet lui-même) est également non-être.
Parménide affirme par deux chemins de raisonnement :
Chemin n°1 : l’être est, le non-être n’est pas
Chemin n°2 : l’être est et n’est pas, car sa nature démontre l’existence du devenir et du multiple ; ce que l’être n’est pas
L’être existe d’une manière sensible ; ce qui le compose sont « les étants ». L’être dans sa nature sensible est donc soumis au devenir et au multiple. Les Etants sont soumis à deux cas de figure :
L’étant est, il existe d’une manière sensible.
L’étant n’est pas comme l’être, c’est qu’il est non-être.
Ce n’est pas l’être qui se multiplie mais sa manifestation sensible, l’être ne varie en rien et ce, quelle que soit la nature des Etants. Le multiple, le mouvement et le devenir concernent les Etants mais pas l’être. Les Etants sont multiples, en mouvement et deviennent dans l’être. Ceci s’argumente par le fait que « être » n’a pas le même sens pour l’être que pour les Etants.
L’être est
L’Etant est ceci, cela, comme ceci, comme cela, devient ceci, devient cela. La vérification est validée par le monde sensoriel et par le devenir. L’Etant était ceci et sera cela.
En introduisant deux chemins qui peuvent sembler contraires mais qui ne sont bien qu’un ; Parménide argumente par la logique (raison) dans le chemin n°1, que l’être est et le non être n’est pas. Puis dans le chemin n°2, il comprend que l’existence sensible de l’être est égale au non-être donc que être et non-être sont identiques. Parménide critique la valeur de la connaissance sensible du chemin n°2, il semblerait qu’il soit un palliatif pour appréhender le chemin n°1. Ces deux chemins se synthétisent de la façon suivante, marquant le pas d’une antithèse entre la raison et l’expérience :
La raison est donc ce que l’on perçoit par l’intelligence. L’opposition entre l’être et le non-être: négation du devenir et du multiple.
L’expérience: ce qu’on perçoit par les sens qui permet d’affirmer l’existence du multiple et du devenir.
L’être est manifesté par ses Etants ; l’être n’a pas de devenir mais les Etants composant l’être y sont soumis. Le fond n’a pas de devenir alors que la forme y est soumise, alors quel devenir (anéantissement) pour l’être, en l’absence de non-être. Parménide considère que l’anéantissement de l’être ne peut provenir que par un excès de manifestation des Etants ; mais on ne peut pas faire expérience de l’anéantissement ; cet anéantissement n’est que théorique.
L’existence sensible de l’être, la manifestation, est formée de deux mondes :
Les choses qui apparaissent
Les choses qui n’apparaissent pas.
Ces deux mondes sont liés par une relation apparition / disparition. Ce qu’on considère comme disparition pourrait être non-apparaître temporaire. L’apparition ne peut venir que de l’être car seul l’être existe ; le non-être ne peut engendrer que la non-apparition qui n’apparaîtrait pas et comme il n’y a pas d’apparition, il ne peut y avoir de disparition. L’apparition de l’être apparaît une fois puis retourne à l’être, il est donc impossible qu’il apparaisse deux fois la même chose. Néanmoins, tout demeure dans l’être.
Tout ce qu’on sait par la sensation chez l’homme, est nommé par Parménide : le chemin de l’opinion. Elle comprend deux principes antagonistes : le feu et la nuit. La cause du mouvement, de l’apparition et de la disparition, est l’Eros car c’est l’amour qui fait se mouvoir et se multiplier.
Parménide pense que la raison nous fait voir l’un, la sensation le multiple. Il prend pourtant la peine de construire une cosmologie qui est un discours pour les Etants mais il sait que ce discours sera débattu par la sensation, donc par l’opinion. Cette dernière fait néanmoins partie de l’être du point de vue de sa nature sensible mais fait partie du non être puisqu’elle n’a pas les caractéristiques de l’être.
En conclusion, Parménide enseigne :
1. on pense l’être; on crée du temps, des discontinuités, des espaces, des apparitions et des disparitions, le changement, le devenir et dans ce cas l’être est et n’est pas car le monde de la sensation nous trompe. C’est le chemin de l’opinion.
2. on ne pense pas l’être, L’espace est continu, homogène, plein, le temps est nié et le devenir dans ce cas l’être est, le non-être n’est pas ; l’Être dans ce cas est « Un Tout », c’est la raison, c’est la vérité.