Le Dieu du Mal – Hervé Rousseau


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Le Dieu du Mal – Hervé Rousseau

L’auteur manifeste un parti pris très clair à l’encontre du dualisme qu’il assimile à « une déviation, une dégénérescence » du monothéisme.

La partie concernant les Bogomiles et les Cathares n’occupe que treize pages des cent trente que compte l’ouvrage. Il y confond hardiment dualisme et dithéisme, démontrant ainsi une lecture plus que superficielle de la doctrine cathare.

Voici ce qu’en dit Lucienne Julien en 1966.

H. ROUSSEAU Le Dieu du Mal. (Presses Universitaires de France. Paris, 1963).

Cet ouvrage se propose, d’une manière évidente, de démonstrer l’absurdité du dualisme, ce qui est facile quand on le prend inexactement comme un dualisme absolu, c’est à dire un dithéisme qui opposerait l’un a l’autre deux Dieux égaux. À cet effet, l’auteur étudie successivement les diverses formes prises par le dualisme au cours des temps.
La doctrine de la dualité est fort ancienne puisqu’on la retrouve chez les peuples paléo-sibériens, chez les peuplades de l’Altaï, dans certaines tribus nord-américaines ; les mythes y tendent toujours à dégager la responsabilité du Créateur à l’égard du Mal. C’est avec Zoroastre que le dualisme prend toute son ampleur. Parti de la religion indo-européenne polythéiste, Zoroastre aurait fait un travail considérable pour adapter ce système au monothéisme qui est sa première affirmation, aboutissant à sa seconde affirmation, celle du dualisme moral des deux jumeaux, Bien et Mal. issus d’un Dieu unique, Ahura-Mazda ses successeurs auraient multiplié les entités bonnes et mauvaises sans résoudre pour autant le problème d’un Créateur bon et tout puissant engendrant le Mal.
Le mazdéisme essaie ensuite d’élever la pensée dualiste au niveau de la philosophie, mais d’après H. Rousseau, pas plus que le Zoroastrisme, il n’apporte de solution aux problèmes posés par l’opposition du Bien au Mal. Le Zurvanisme qui n’est qu’une « hérésie » des précédentes doctrines, ne satisfait pas davantage l’auteur, (alors que Zurvan est un premier principe absolu d’où sont issus le bien et le mal relatifs et dont il est l’origine).
Au dualisme de ces diverses doctrines, H. Rousseau oppose la conception judaïque et chrétienne, monothéiste, dans laquelle la conception d’un transfert de la responsabilité du mal à un Esprit mauvais n’apparaît que peu à peu au cours de tout l’Ancien Testament, Mais celui-ci n’agit qu’avec « la permission de Dieu ». L’Auteur reconnaît que, selon le Nouveau Testament, le monde est mauvais et que Satan en est le Prince, mais il ne voit pas que le mal est positif comme le bien, mais cependant relatif puisque transitoire. La gnose que l’auteur qualifie de « vaste mouvement spirituel par la connaissance », mais dans laquelle il refuse de voir une religion, reprend le thème dualiste qui s’épanouit ensuite dans le manichéisme constitué par des emprunts à divers mouvements. L’Auteur ne voit pas que la gnose chrétienne est une philosophie religieuse qu’on ne peut comprendre que par les doctrines de Platon et de ses interprètes comme Plutarque. Les dieux organisateurs du monde y sont subordonnés au Dieu suprême.
Après avoir brillé d’un vil éclat, le manichéisme, à son tour, échoue, selon M. Rousseau, parce qu’il n’apporte pas de solution satisfaisante à la conception de la dualité ; après lui. le bogomolisme, né en Bulgarie au 10e siècle, puis le catharisme, « forme la plus radicale de la dualité», ne connaissent pas un meilleur sort. L’auteur se débat dans les notions de dualisme mitigé et de dualisme radical pour finalement remarquer que le dualisme est, en fait, un système optimiste dans lequel le Bien triomphe toujours du Mal.
Depuis la disparition du catharisme, la pensée dualiste n’est plus, selon l’Auteur, que le fait de quelques individualités aux altitudes sectaires et de s’indigner que l’on ait pu dire de Simone Weil qu’elle « avait de la sympathie pour la religion des Parfaits » elle en ignorait la doctrine et n’en avait eu que quelques lueurs à travers les articles de D. Roche « qui donne du catharisme une version toute personnelle », à laisser « rêveur » M. H. Rousseau. Mais en quoi est-ce gênant pour un esprit ouvert et libre que de ne pas adopter systématiquement, après de longues éludes sur la question, le point de vue des inquisiteurs et de l’Église romaine ? M. Rousseau parait décidément ignorer que la philosophie des manichéens et des cathares a bien été inspirée, comme celle des gnostiques, par celle des platoniciens et que Simone Weil a eu raison d’y voir un platonisme chrétien.
M. Rousseau conclut que le dualisme, radical ou « mitigé ». présente des solutions qui ne résistent pas à l’examen ; la gnose se dissipe en fumée dès qu’on tente de la préciser. Substantifier le Mal, en faire une réalité sont autant d’erreurs destinées à supprimer la liberté morale, à détruire l’idée de Dieu. Il ne peut y avoir qu’un Absolu et par conséquent seul le monothéisme est valable. Et l’auteur ne voit pas que le dualisme moral et cosmique n’est pas absolu, que « le mal n’est pas substantifié » bien que positif et que les cathares étaient chrétiens monothéistes comme les manichéens.
L’auteur prête aux manichéens et aux cathares une conception dont il démontre facilement l’absurdité : nos lecteurs savent bien, par les travaux de D. Roche précisément, que pas plus l’École de Bulgarie que l’École d’Albanie, et de Jean de Lugio, n’ont envisagé deux dieux opposés, mais deux principes. Bien et Mal, émanés d’un Dieu unique, permettant à l’homme d’acquérir, par un choix, sa liberté intérieure, et concourant par la â l’évolution de l’humanité dans le plan divin.
Ce petit ouvrage, incontestablement documenté, a le tort de vouloir coûte que coûte conclure à la seule valeur du monothéisme officiel de l’Église et de rejeter dans un même opprobre toute la pensée dualiste de plusieurs millénaires.

L. Julien.

Sans faire mienne la pensée ésotérique de Lucienne Julien, je ne peux que la rejoindre dans son analyse de cet ouvrage que je ne recommande pas.

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