Le mystère cathare – Ernest Fornairon
Quatrième de couverture
L’auteur s’est efforcé au cours de cette étude qui résume Le travail de longues années de recherches et de méditations, de présenter le Catharisme et l’histoire de la Croisade contre les Albigeois sous un aspect particulièrement objectif, dépouillé de ce romantisme légendaire qui a trop souvent défiguré ou rabaissé cette tentative de haute spiritualité que son caractère quasi surhumain ne pouvait vouer qu’à l’échec, même en dehors de toutes les sentences d’excommunication et des mesures de répression.
La « Sainte Hérésie » c’est ainsi qu’Ernest Fornairon qualifie volontiers la religion des Cathares, telle qu’elle apparaît d’après le nombre très réduit de documents valables qui nous sont parvenus.
Cette absence d’informations complètes et précises a permis depuis le milieu du XIXe siècle à la plupart des historiens du Catharisme de prendre les positions les plus diverses et souvent les plus opposées, chacun essayant de faire des Cathares les pionniers de l’idéologie qui lui convenait le mieux. On s’est plu à voir dans les « Parfaits » des précurseurs, tour a tour, de la Réforme, du Jansénisme, de l’Encyclopédie, voire ceux du saint-simonisme, de l’anarchie ou du marxisme.
La vérité, autant qu’il est possible de la supposer, est à la fols plus simple et plus nuancée, et il convient de voir uniquement chez les « Parfaits » un effort incessant d’élévation morale, un élan vers la pureté, le détachement total de la matière, et la quête de Dieu avec la conviction de sa miséricorde Infinie et l’espérance d’acquérir par une patiente résolution de chaque heure une âme digne de devenir la maison de Dieu ; bref une marche constante vers la Lumière.
L’élude de ce perfectionnement ne pouvait se faire utilement qu’en se plaçant le plus près possible de l’esprit du Moyen Age, de cette époque qui est tout le contraire des temps barbares et obscurs que l’imagination des historiens et des romanciers s’est longtemps amusée a décrire.
Quant à l’histoire même de la Croisade, si souvent racontée, l’auteur s’est attardé seulement sur quelques événements principaux et définitifs et sur les personnages essentiels, l’hérésie pouvant être considérée comme irrévocablement vaincue et Jugulée après la défaite de Muret ; les longues années qui s’écoulèrent jusqu’à la reddition de Montségur n’étant plus désormais pour les provinces méridionales qu’une lente agonie projetée sur la toile de fond d’un Catharisme déjà largement effiloché et en lambeaux.
Ajoutons que ces pages — en dépit de l’austérité du sujet — sont d’un style vivant et évocateur qui rend leur lecture passionnante.
Une bibliographie nouvelle comprenant plus de deux cents titres complète excellemment ce travail, indispensable pour quiconque s’intéresse à l’histoire de la France au Moyen Age.
Mon commentaire
Tous les livres présentés dans la Bibliothèque ne sont pas forcément à lire. Celui-ci, déjà fort justement critiqué à sa sortie (1964), ne s’est pas bonifié avec le temps. Je ne vous le conseille donc pas.
Critiques parues dans les Cahiers d’études cathares (n°24 1964)
Lucienne Julien
Avec un tel titre, on s’attend à des révélations sensationnelles. Et, en effet, nous apprenons en cours de lecture, que les méridionaux, « paresseux et légers », ne pouvaient qu’être vaincus par ces « courageux barons du Nord », possesseurs de toutes les vertus qui manquent totalement aux gens de l’Occitanie ; que les troubadours étaient « des hommes désœuvrés, des étudiants avortés, des clercs ratés » ; que les Cathares étaient une minorité (12 000 au début de la croisade, 250 quarante ans plus tard ; ce qui laisse supposer un nombre important de victimes au palmarès des croisés et de l’Inquisition !) parce que « le Catharisme était trop peu conforme à la molesse, à la nonchalance et à la sensualité méridionales » ; que « Rome finalement ne trembla pas tellement devant l’hérésie » — Pourquoi alors tant de massacres, tant de bûchers ? Pourquoi l’Inquisition ? Le Languedoc était paraît-il « un terrain désorganisé» où, « depuis le XI* siècle, une puissante Maison s’était formée ». Si le roi de France s’est si peu intéressé à la Croisade a ses débuts, c’est qu’il était trop occupé par ses multiples mariages et ses démêlés avec Rome, conséquences de ses unions successives !
Après cette étude du climat. M. Fornairon essaye d’analyser la doctrine et il pense que « le catharisme est une hérésie dont le grand secret consiste a refuser le don d’une âme à tout homme qui voit le jour, celui-ci devant l’acquérir à chaque instant de sa vie, et seuls les hommes capables de s’en être donné une entraient après leur mort dans l’éternité de Dieu, les autres retournant dans les ténèbres du néant»! Pas de lien avec le manichéisme, pas de science spirituelle dans le catharisme : vouloir le prouver serait « répéter une démonstration digne d’un médecin de Molière ». Essayer de déterminer l’organisation de l’Église cathare, c’est produire un aimable mélange de catholicisme, de paganisme, de protestantisme et de fantaisie, de la plus déconcertante confusion ». Folie de déclarer que la citadelle de Montségur est un monastère cathare, une sorte de Temple du soleil, alors que « Montségur n’était qu’une de ces banales forteresses établies par les seigneurs » sur leurs fiefs. Les lecteurs de nos Cahiers savent ce que valent ces affirmations de M. Fornairon.
Il passe ensuite, d’une manière très rapide, aux événements de la croisade, Nous aimerions connaître les sources qui lui permettent d’établir le portrait de Dame Géralda de Lavaur « un peu hommasse, assez duvetée » et qui fut « l’une de ces étoiles du catharisme assez imbues de leurs mérites, et qui trépignèrent de joie et battirent des mains à l’idée qu’elles pourraient jouer un rôle dans une pastorale mystique, sans se douter que celle-ci finirait un jour en tragédie. »
Les phrases citées nous donnent le ton général du style de ce livre, style qui se veut alerte, mais qui n’est que désinvolte et déplaisant pour évoquer une telle tragédie. M. Fornairon veut donner l’impression qu’il nourrit une certaine sympathie (très relative!) pour les Cathares dont il nous demande que puisque « nous sommes incapables de les comprendre, encore plus de les imiter, nous leur fassions la grâce de ne pas les condamner ». Nous ne sommes d’accord que sur le dernier point avec l’auteur d’un livre aux affirmations tendancieuses, dans lequel on sent la volonté de minimiser le rôle odieux des croisés, de l’Église et des Inquisiteurs, en caricaturant le peuple occitan et en ridiculisant les chercheurs qui ne se rallient pas strictement au point de vue catholique romain.
Jean Duvernoy
Le titre de l’ouvrage de M. Fornairon, « le mystère cathare », qui vient de paraître dans la collection Homo sapiens de la librairie Flammarion, est bien prometteur. Le lecteur ne manquera pas d’être déçu : sur les 232 pages du livre, une trentaine seulement concerne le Catharisme. Le reste discute les mérites respectifs des civilisations française et occitane au XII’ siècle et fait le récit de la Croisade, qui forme le gros de l’ouvrage.
On ne peut que louer M. Fornairon d’avoir voulu situer le milieu en nous apportant dans son premier chapitre les « rudiments nécessaires ». Mais les civilisations se pèsent et se mesurent. Pour savoir ce que valut la civilisation méridionale, nous n’en sommes pas réduits a de simples impressions intuitives. Au lieu de nous dire que les troubadours étaient des « truands perfectionnés » (p. 13) l’auteur eût mieux fait de nous dire que le roman de Flamenca préfigure Boccace et que Dante a failli écrire en langue d’oc. Au lieu de nous dire que les paysans étaient « égoïstes, frustes et sournois » (p. 23), il eût mieux valu signaler l’absence presque générale du servage, des tailles, et le très faible écart dans la condition des personnes qui frappent immédiatement dans les documents de l’époque.
Aussi bien la question ne présente-t-elle, pour le Catharisme, qu’un bien mince intérêt. Il y eut des cathares en Rhénanie, en Champagne, dans le Centre de la France, bien que ces régions ne tussent pas méditerranéennes, qu’elles ne fussent pas soumises à la cour de Raymond VI, etc.
Les « rudiments nécessaires » de M. Fornairon, d’ailleurs, datent, et les citations qu’il nous donne d’Augustin Thierry, de Sismondi ou de Michaud, comme le terme de « carlovingiens » (p. 28) laissent des doutes sur la fraîcheur de son information.
C’est bien ce qu’il faut déplorer à la lecture du chapitre consacré au Catharisme. M. Fornairon a, certes, pour l’hérésie médiévale, un préjugé favorable. Son dessein, assez confusément réalisé d’ailleurs, est de sauver le Catharisme, qu’il voit tout de pureté el de spiritualisme, du tort que lui ont cause détracteurs comme ses amis trop zélés.
Ce qui est grave, c’est que l’auteur n’a nullement la prétention d’éclairer le « mystère cathare » : « Faute de documents, écrit-il, on peut écrire tout ce qu’on voudra à propos du catharisme… Cette constatation essentielle étant faite, essayons d’exposer la même doctrine d’après les savantes décantations, votre les subtiles inventions des docteurs les plus connus — sinon les plus éclairés » (p. 64). C’est dire, et l’ouvrage ne le confirme que trop, que M. Fornairon n’a vu le Catharisme qu’à travers des ouvrages de seconde main, et que, désespérant de trouver la vérité dans des sources qu’il juge Insuffisantes, il s’en remet a ses propres impressions pour tirer les conclusions de ces opinions peu « éclairées » et souvent divergentes.
Rares sont, d’ailleurs, les « docteurs » cités, et les emprunts ne sont pas toujours entre guillemets, ce dont deux ailleurs au moins, à ma connaissance, se sont plaints. Quoi qu’il en soit, l’exposé ne tient pas compte des travaux désormais classiques de Schmidt, Douais, Molinier, Guiraud, Runciman, Soderberg et Borst, La thèse présentée comme celle de Belperron est franchement incomplète : elle ne vise que « le dualisme mitigé » qui n’a jamais fleuri qu’en Lombardie. Il est reproché à d’autres auteurs d’introduire dans le Catharisme la métempsychose (p. 59), comme si le fait n’était pas avéré depuis Bossuet.
Le « grand secret cathare », rare participation de l’auteur à l’élucidation du mystère, est, parait-il, de « refuser le don d’une âme à tout homme qui voit le jour » (p. 60). Ce secret fut bien gardé, car les contemporains, cathares ou adversaires, ont toujours soutenu exactement le contraire. Non moins imprudente est la formulation : « selon les cathares, le Premier homme comprenait tout l’univers et ses éléments spirituels ont été dispersés dans les astres qu’ils ont formés » (p. 61).
Passons sur les erreurs de détail, recopiées sans souci de critique : récitation de l’oraison dominicale par les simples croyants, confession et absolution (p. 62), passons sur « l’adhésion bien vague » (p- 64), des croyants, alors que la moindre paysanne du haut Sabartès était capable de donner un catéchisme intelligible du catharisme devant l’Inquisition au début du XIVe siècle ; passons surtout sur ces allusions intempestives aux mœurs contre nature (pp. 9 et 74). Il est des calomnies qu’il vaut mieux taire, même quand on n’y ajoute pas foi. Dans l’entier corpus de l’Inquisition méridionale, qui mentionne environ 25 000 personnes, il n’y a qu’une affaire, qu’une mention d’homosexualité (Ms Vatican 4030, f° 226 a à 233 d). Elle concerne un franciscain défroqué de Pamiers.
Les critiques de M. Fornairon ne sont guère plus heureuses que ses apports. Il met a tort en doute, chez les cathares, les doctrines pourtant certaines de la métempsychose (p. 67) et du composé humain ternaire (p. 68).
Il juge d’une « clarté contestable » et « sans doute de saint Bernard de Clairvaux » (p. 72) un des textes les plus rabâchés sur l’hérésie médiévale, le double sermon In Cantica. où il voit une « boutade prud’hommesque ». Il attribue à Belperron, dans sa description pourtant fort banale du consolamcntum, d’« ingénieuses citations » (p. 193) en ignorant que nous en possédons le rituel exact en deux langues, Reprenant sans s’en apercevoir le même texte dans l’exposé de Jacques Madaule (pour l’appareilhamentum) (p. 80-81 ), il en juge ce dernier l’auteur et l’accuse d’avoir eu la distraction de ne pas révéler ses sources ». Il estime enfin que ce texte est « en-dessous du catharisme », ce qui est on ne peut plus savoureux.
Le récit de la Croisade, qui fait suite à l’exposé du catharisme, présentait pour M. Fornairon, dont nous savons qu’il possédait l’ouvrage de Belperron, moins d’embûches. Mais il est souvent périlleux d’abréger. On risque ainsi de dire que saint Bernard (mort en 1153) poursuivit les hérétiques d’Orléans (en 1022) et ceux de Tours, ville où se tint seulement un concile (p 87). On risque de dire encore qu’après la bataille de Muret, pris de découragement, les cathares en vinrent à lire les « Lamentations de Baruch », mais non les « livres historiques des Proverbes et des Cantiques » (p. 148) ; de parler de Vigouroux de Barcelone, en recopiant une hypothèse timide, et d’ailleurs erronée (p. 167); de faire faire l’escalade de Montségur par les habitants du village (p. 179), alors qu’il s’agit de gascons (et non pas de basques) comme on l’a souvent dit par erreur.
Ayons la charité de ne pas insister. Le livre de M. Fornairon a le mérite d’exister. Il se vendra. Il aura ainsi procuré à un imprimeur et à des libraires du travail. Cela est bien, comme il est excellent que le touriste gravisse le sentier de Montségur ou visite les grottes d’Ussat. L’Ariège en a grand besoin.
Mais, à tout prendre, j’aime autant le Guide Bleu qui fait mourir « cinq à six cents albigeois » emmurés dans la grotte de Lombrives en 1328. Au moins ne prétend-il faire la leçon à personne.
Voilà, à chacun de voir s’il veut gaspiller son argent.